LEXICARABIA

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Analyse sémiologique de l'image.

 

Abdelghafour Bakkali

 

 
L'image est, certes, plus impérative que l'écriture, elle impose la signification d'un coup, sans l'analyser, sans le disperser.

R. Barthes, Mythologies, p. 195.

 

   

 

Les supports iconiques, choisis en fonction des compétences à développer chez l'apprenant, ont la vertu de déclencher des séances de projet d'écriture ou de lecture, de compréhension de l'écrit souvent problématique, nous allons dans cet article mettre en exergue les spécificités et l'importance de l'image dans les pratiques de classe. Soulignons que lors de l'apprentissage et de l'enseignement d'une langue, en l'occurrence une langue étrangère, l'image occupe une place privilégiée. Celle-ci a trois principales spécificités. Primo, elle favorise la prise de parole. Elle est de ce fait polysémique, plurielle dans sa dimension sémiologique. Donnant lieu à d'importantes variations d'interprétation, elle suscite l'échange entre les partenaires de l'activité engagée.

 

   Elle n'est pas un univers clos comme le texte écrit, par exemple ; elle permet, dans une large mesure, la confrontation des idées et des opinions. L'image stimule, secundo, la créativité langagière. Le support iconique possède en effet un grand pouvoir d'évocation et de suggestion. Il est donc un moyen approprié de déblocage de l'imaginaire. Pour ce genre d'activité sont exclues les images didactiques accompagnant les méthodes audiovisuelles classiques. Lors de la lecture de ces images séquentielles, on se limite notamment à la dénotation ; la connotation est plus ou moins inexistante. Tertio, l'image confirme l'écrit et le rend problématique. Elle peut être utilisée comme support illustratif, complémentaire, voire contradictoire (voir images accompagnant les textes des manuels scolaires). On identifiera, pour le besoin de la séance pédagogique, le rapport du texte et de la légende, la fonction des images publicitaires intercalées dans le contenu d'enseignement... L'image pourrait être qualifiée de «contradictoire » lorsqu'elle traduit, en principe, le paradoxe et l'anachronie, comme par exemple l'image publicitaire présentant une TV HD Ready, plasma ou LCD dernier cri dans un décor du XIXe siècle, ou encore un texte dont le thème est la toxicomanie et l'image d'accompagnement est celle d'un personnage sain.  L'image ci-après d'un PC portable Apple illustre également ce paradoxe.

 

1.

 Anachronisme en publicité.

 

Le cartographe Jacques Bertin, chercheur à l'Ecole Pratiques des Hautes Etudes, précise que « Le langage visuel est spécifique car il est inverse du langage écrit ou parlé : l'œil perçoit d'abord un ensemble, il généralise puis cherche le détail. Enfin, il s'agit d'un système spatial où trois variables sont mises en relation : les deux dimensions orthogonales qui définissent le plan et les phénomènes représentés qui apparaissent comme des 'taches' ». La connaissance du code iconique s'avère primordiale pour la lecture de ce type de support. Une image atteint généralement des destinataires extrêmement nombreux, bien qu'elle soit beaucoup moins interactive que le discours. Elle agit à sens unique : l'échange entre l'agent émetteur et le sujet récepteur n'est guère manifeste ; on a l'impression qu'il s'agit d'une communication unilatérale. Pour que la communication soit évidente, il faut que le récepteur maîtrise le code iconique et reconnaît ce qu'on appelle les « iconèmes » qui composent le support utilisé. Pour la lecture de l'image, on pourrait aisément pratiquer les données de la linguistique moderne, plus particulièrement la linguistique structuraliste. La notion de signe, pour ne prendre que ce terme saussurien, avec se double face, est l'un des moyens qui pourrait favoriser une intense activité d'interprétation. Or, le repérage du signe iconique, avec ses faces signifiante et signifiée, permet, selon le procédé du codage, de reconstituer le message iconique décomposé en iconèmes. Le restituer suppose d'abord la reconnaissance du contexte, ensuite sa verbalisation. Anne-Marie Thibault-Laulan, dans Le langage de l'image. Etude psycholinguistique d'images visuelles en séquence (1971, Editions universitaires), distingue trois types de contextes, entendus comme environnement ou situation, capables de faire varier la signification. Ces contextes agissent comme des fonctions de l'image. D'abord,  le sens est déterminé par ce qui précède (le cinéma utilise les ressources du montage) ; ensuite,  le commentaire ou la légende qu'on associe à l'image réduit sa polysémie ; puis, les éléments internes à l'image contribuent à une interprétation d'ensemble de l'image et permettent de détecter le sens inhérent au support iconique « lu » voire transcrit.

 

Ainsi passe-t-on d'une visualisation attentive, à trois variables, à la verbalisation ou à la transcription du message, utilisant pour ainsi dire un « langage de l'œil », selon l'expression de J. Bertin, père de la « sémiologie graphique ». La production de la parole est de ce fait motivée par la compréhension et l'interprétation du visuel. On pourrait par ailleurs utiliser les concepts de Hjelmslev, le fondateur de la glossématique, à savoir les concepts de dénotation, connotation, signification, forme, contenu, substance, etc. Nous insisterons, pour le moment, sur les deux items principaux items de dénotation et de connotation.

 

La dénotation serait la description des différents codes mis en œuvre dans une production iconique, allant bien sûr de la photo, représentation directe, à des signes plus abstraits qui incluent des formes géométriques ou symboliques, des formes et des couleurs, parfois même des figures abstraites. Le processus consiste grosso modo dans l'identification des glossèmes et ou iconèmmes que contiennent chaque signe iconique. Abraham Moles établit ce qu'il appelle justement l'«échelle d'iconicité » (1961) qu'il réduit à douze niveaux.  On découpe, en premier lieu, le message en unités matérielles discrètes ou glossèmes ; on les classe ensuite en catégories. Ces unités codées pourraient, en ce qui nous concerne, se ramener aux items suivants :

  • Code photographique que l'on emprunte au cinéma, et qui consiste dans l'utilisation sélective des plans, angles de prise de vue, cadrage, échelle de plans.
  • Code chromatique : choix des couleurs, noirs et blancs, et leur qualité optique,
  • Code typographique : ou code de la mise en page et de la disposition spatiale de l'image ; il s'agit de dégager le rapport image/page et image/texte.
  • Codes «esthétiques » : (valeur artistique du produit) surtout dans le choix des couleurs, des formes, leur disposition, etc.
  • Code culturel ou fragment d'idéologie (mythologie) inclus dans l'image. (cf. Jean-Pierre Meunier et Daniel Péraya, Introduction aux théories de la communication : analyse sémio-pragmatique de la communication médiatique, De Boeck, 2004 :23)

 

Il s'agit en fait d'une « description objective, systématique et quantitative du contenu manifeste de la communication [iconique]. Il s'agit de dégager, au-delà des informations, la signification réelle donnée aux événements par les médias. » Christian Baylon et Xavier Mignot, 1994, La Communication, Paris : Nathan (fac. Linguistique, pp.168-167, plus particulièrement le chapite qui porte sur l'image de presse).

2.

 

La connotation permet par ailleurs l'interprétation ou l'élucidation des différents systèmes d'interprétation du document iconique. Ces systèmes dépendent en grande partie des références socioculturelles et psychologiques du producteur de l'image ou de l'entreprise qui l'émet. Ils permettent en aval le renforcement des sens dénotés  Pour la connotation de la signification inhérente au support iconique étudié, on pourrait pratiquer, soit la notion paradigmatique qui consiste à faire varier dans la photo publicitaire, par exemple, quelques éléments constitutifs et à réinterpréter le message ; soit, la notion syntagmatique tout en faisant découvrir comment s'articulent  entre eux les différents éléments du message, ou les pratiquer simultanément. L'analyse du contenu vise, selon le principe d'immanence, la reconstruction du message et non pas l'effet produit sur le lecteur ou le spectateur. Et de cette façon, on est en mesure d'étudier, dans une première phase, les données centrée sur le message ; puis, déterminer le style utilisé par l'émetteur en vue d'organiser l'ensemble : d'abord la forme iconique et les glossèmes qui la constituent ; ensuite, la structuration de ces éléments mis en œuvre. A la différence de l'analyse sémiologique utilisée par Roland Barthes et Edgar Morin, ou de l'analyse propositionnelle du discours cherchant à mettre en lumière l'univers idéologique des médias, l' «analyse du contenu se veut objective, en ce sens qu'elle ne porte pas de jugement de valeur sur les tendances dégagées. » (Ibid., p. 169).

 

3.

  Communication sociale: le mal du siècle.

 

La question est envisagée de la même façon quand il s'agit de l'image. L'apport social est à mettre en exergue dans ce type de lecture pour que le sens surgisse de la complexité du document lu ou visualisé. Violette Morin, mettant particulièrement le cap sur l'écriture de presse, insiste sur la dimension sociopolitique du message que véhicule une image de presse où notamment l'impact idéologique du scripteur est manifeste. Elle lit le sens d'un événement, tel que le voyage en France de Nikita Khrouchtchev, en rassemblant dans une grille appropriée ce «voyage historique » d'un chef d'Etat communiste, tel que l'avaient relaté les sept principaux journaux français de mars à avril 1960. Ainsi a-t-elle précisé l'orientation réelle de ces quotidiens. Concernant notre sujet, nous pourrions aisément rassembler des images du Chef actuel du nouveau gouvernement marocain publiées dans des journaux de tendance et d'idéologie différentes. L'implication idéologique ou opportuniste apparait au meilleur jour. Ceci étant, la communication individuelle cède le pas à la communication sociale, entendue comme un échange - plutôt une transmission unilatérale d'informations- dont la finalité est de présenter, avec souvent une charge subjective évidente, l'information passée au crible des intentions du producteur de l'image et ou du texte. Dans une autre perspective, la communication sociale essaie par la confection d'images suggestives de lutter contre les maux d'une société, à savoir le tabagisme, l'alcoolisme, la toxicomanie, la délinquance, etc. On prêche des valeurs nécessaires au confort et au mieux-être individuel et collectif. Cette communication iconique est de ce fait liée à des règles et à des institutions qui recourent à ces moyens d'échange social. Il ne faut pas néanmoins confondre «communication sociale » et « publicité ». Mais ceci n'empêche que cette dernière, plus audacieuse, s'immisce dans presque toutes les disciplines. Revêtant une allure sociale, elle incite à l'acquisition du produit vanté, donc à la consommation.

               

4.

 Communication sociale: la cigarette tue.

 

Ces types de messages à visée sociale ont pour objet de convaincre la masse du danger qui la menace, telles que des campagnes contre le sida ou le cancer. Cette mise en garde, formulée par un texte ou par une image, nécessite l'élaboration d'une stratégie de communication sociale : un seul fait (unicité du thème) est abordé différemment lors de ces campagnes. Cette diversité des moyens techniques mis en œuvre facilite la transmission des messages et contribue, pour une large part, à modifier les comportements (pensez à la campagne de sécurité routière, par exemple !) La stratégie de communication sociale suppose en fait un certain nombre de précautions. D'abord,  le choix du thème de la campagne (sida, drogue, pauvreté, analphabétisme, guerre, etc.) est suivi de la définition de la population cible (enfants, femmes, toxicomanes, etc.) ; ensuite, la conception, le ton, le contenu du discours ou de l'image (principes d'efficacité : forme du message, techniques rhétoriques mis en cause, etc.) et la signature du message (complexe, individuelle). Si pour la conception du message, les annonceurs de communication sociale feraient appel à la peur (tabagisme engendre la mort), l'humour aurait un impact suffisant sur la population cible («l'eau est ma boisson », plutôt que «l'alcool tue » ou «l'alcool rend fou », etc.) Le message iconique ou textuel ou les deux à la fois sont souvent accompagnés d'un slogan qui en donne le ton. «Ce slogan, court, donc facile à retenir, partout présent, attire l'attention et implique dans l'action : 'La vitesse, c'est dépassée', 'Deux roues, deux fois plus d'attention', 'Votre permis ne supporte pas l'alcool', […] » (Baylon & Mignot 1994 : 276).

 

5.

 Publicité: image et texte.

 

                Les sujets traités lors d'une campagne de communication sociale se répartissent en trois catégories. Dans un premier temps, les sujets choisis visent à la modification des comportements (lutte contre les accidents du travail,  tabagisme, mauvais traitement des enfants, chômage, immigration clandestine, etc.). Les sujets présentent ensuite des informations nouvelles (déclaration des revenus, indice des prix, création d'une association, d'une entreprise, etc.). Et enfin, ils visent à l'amélioration des services (travail manuel, parcs naturels, services hôteliers, image du Maroc à l'étranger, etc.) (Ibid. p. 278). En ce qui concerne la publicité qui, à bien des égards, un moyen de communication massivement utilisé, est conçue selon des règles propres au genre. Ayant un contenu explicite, elle tend, par une stratégie communicationnelle, à transformer un non-consommateur en consommateur (informer et convaincre en même temps). Pour cela, le publicitaire prévoit, lors de l'élaboration du message, trois étapes hiérarchisées dans le temps : une étape cognitive consistant à informer le consommateur sur le produit, une étape affective qui montre que le consommateur est intéressé par le produit et une étape comportementale qui conduit le consommateur à acheter le produit. La publicité est donc un jeu d'échanges - plutôt un jeu de rôles ou un drôle de jeu - à trois acteurs, dont les pôles sont l'annonceur-émetteur (celui qui parle, écrit ou dessine : fabricant, producteur, agence de publicité), l'objet-référent (la chose dont on parle : produit, objet, service, marque, etc.) et le public-récepteur (clients, usagers, consommateurs, acheteurs, etc.) (Ibid. p. 294).

 


 

 

À lire  pour complément d’information

 https://journals.openedition.org/signata/1247



13/01/2012
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