LEXICARABIA

LEXICARABIA

Analyse textuelle et énonciative

Abdelghafour Bakkali

 

"Le texte redistribue la langue (il est le champ de cette redistribution). L'une des voies de cette déconstruction-reconstruction est de permuter des textes, des lambeaux de textes qui ont existé ou existent autour du texte considéré, et finalement en lui: tout texte est un intertexte; d'autres textes sont présents en lui, à des niveaux variables, sous des formes plus ou moins reconnaissables: les textes de la culture antérieure et ceux de la culture environnante; tout texte est un tissu nouveau de citations révolues. Passent dans le texte, redistribués en lui, des morceaux de codes, des formules, des modèles rythmiques, des fragments de langages sociaux, etc., car il y a toujours du langage avant le texte et autour de lui."
Roland Barthes, Théorie du texte, in Encyclop. univ. t. 15 1973, p. 1015.

 

 

  

Cet article se limitera à deux principaux axes : les actes de nommer et de communiquer, et les lois du discours. Nommer des objets de sa communication accompagné des gestes, souvent inséparables du discours que l'on tient à son allocutaire. Mais cet échange repose essentiellement sur des phrases, parce que les mots, pris isolément dans l'acte de nommer, ne peuvent constituer à eux seuls une véritable communication. Le discours ne dépend pas seulement de la "construction" de phrases, mais obéit à des lois. Cette théorie du discours, développée par Oswald Ducrot, permet le repérage du fonctionnement des éléments discursifs mis en jeu et les principes oratoires du discours produit et analysé. 

 

1. Les actes : nommer et communiquer :

 

 A côté des moyens non-verbaux (la mimogestualité) qui sont les substituts du langage, la parole permet à l'homme de sortir de lui-même et d'entrer en contact avec les autres. Il y a a priori deux types de contact :

 

  • Un contact avec les objets,
  • Un contact avec ses semblables. 

Pour le premier type, nommer les choses, c'est les actualiser. Cet acte de nommer semble intégrer les objets de la réalité, « La réalité, c'est ce qui est susceptible d'être nommé » (Kibédi Varga 1989: 7) 

La parole permet par ailleurs de communiquer avec autrui.  C'est une nécessité sociale (le bébé crie pour attirer l'attention de l'adulte).

On a donc schématiquement :

 

 

 

En pratique, la nomination privilégie les substantifs précédés par les expressions «c'est, voici »; alors que la communication demande des formes plus élaborées, des structures linguistiques plus complexes. Y a-t-il donc un conflit entre ces deux actes (concepts)? S'agirait-il d'un conflit entre les mots et les phrases?

 

    Ceci étant, le mot a la vertu de désigner; la phrase de communiquer. Mais à l'occasion de ce débat conceptuel, la linguistique semble rejeter cette distinction simpliste, il y a paradoxalement des mots qui communiquent et des phrases qui nomment, on peut citer, à titre d'exemple, les fameuses phrases où le SV reprend presque littéralement le SN sujet où l'on parle parfois de redondance :

- La maison a quatre murs.

- Les assassins tuent.

 

Le SV ne fait donc qu'expliciter ce qui se trouve déjà dans la définition du substantif sujet. Ce sont des pseudo-phrases, en ce sens qu'elles ne font que nommer. Et il faut un contexte très particulier pour que ces phrases puissent avoir une fonction de communication (contexte émotionnel, ironique, etc.).

 

Texte : moyen de communication interhumaine :

Si l'on estime que dans la hiérarchie discursive, le mot nomme, l'énoncé et la phrase communiquent, le texte, dans son ensemble, reste le moyen de communication interhumaine par excellence. Or, on a l'ordre ascendant suivant :

 

 

 

 

Au cours du processus de l'apprentissage d'une langue, on apprend tout d'abord à désigner les objets du monde pour qu'ensuite on puisse les intégrer, à bon escient, dans une véritable communication. On passera ainsi de la simple nomination à la véritable construction syntaxique : du monème, au monorème, jusqu'au dirème segmenté et enfin au dirème lié. La grammaticalité de l'énoncé deviendra une fin en soi parce qu'elle véhicule une signification résultant d'une construction composite. Reconnaître les objets du monde, en un mot leur référent, serait un tremplin vers une entrée efficiente dans le texte. Mais cette entrée nécessite par ailleurs la connaissance d'un certain nombre de règles inhérentes à l'objet « texte », en l'occurrence ce qu'on appelle les « lois du discours ».

 

 

2. Les lois du discours:

 

  Avant de mettre l'accent sur les caractéristiques typologiques fondamentales et les différentes structures d'un texte, nous allons revenir sur la portée du mot discours - qui est eu égard un mot polysémique-   mis en rapport avec le texte. Le discours est en somme l'équivalent de l'énoncé pour les uns, et de texte pour les autres.

 

  Le discours-texte, i.e. la production orale ou écrite (voire iconique ou mimétique),  fait l'objet de ce qu'on appelle  communément l'« analyse de discours» ou encore «grammaire de texte». On peut noter à ce sujet qu'il existe deux approches essentielles : l'approche française et l'approche anglo-saxonne.

Elles sont visualisées dans le tableau suivant :

 

 

APPROCHE FRANCAISE

APPROCHE ANGLO-SAXAONNE

Types de discours

Ecrit

Cadre institutionnel, doctrinaire

Oral

Conversation quotidienne, ordinaire

Buts assignés

Visée textuelle

Explication, forme

Visée communicationnelle

Description, usage.

Méthode

« structuralisme »

Linguistique et histoire

« interactionnisme »

Psychologie et sociologie

Origine

linguistique

Anthropologie

 

 

Ceci dit, l'analyse du discours vise non pas ce que dit un texte mais la façon dont il le dit à travers les deux perspectives indissociables de :

  • L'analyse du discours proprement dite : Observation, manipulation et étude d'énoncés réalisés, constitués en corpus, règles de fonctionnement, généralisation. C'est ce qui se met sous la rubrique de la démarche inductive. Si par contre on adopte la démarche déductive, le texte-discours est présenté comme étant un tout indissociable, comme un modèle à imiter, soumis à des règles, le travail de l'analyse consistera donner des exemples de textes dont le fonctionnement intra-discursif reproduira le modèle présenté. Soit qu'on va de l'amont vers l'aval ou inversement.
  • La théorie du discours  qui vise à établir des règles qui régissent des séquences de phrases.

 

Cette théorie du discours reçoit chez le linguiste français Oswald Ducrot, l'appellation des lois des discours (cf. «Lois du discours» in Langue française  n° 42, 1979). Le philosophe du langage Herbert Paul Grice[1] (1975) les appelle, quant à lui, « maximes conversationnelles[2]».

Ces lois aideront le destinataire du message à reconstituer le sens, à se l'approprier. Le sens est souvent implicite (ou non-dit, sous-entendu). Car, il ne suffit par d'identifier les mots employés dans un texte, de reconnaître le sens lexical de tel ou tel item enregistré dans la nomenclature d'un dictionnaire, de travailler les relations grammaticales entre ces unités lexicales, de déterminer la combinatoire sémantique susceptible de dévoiler le sens global, etc. pour la construction d'une pluralité de sens, selon d'abord les «lois» propres au fonctionnement du discours. La compréhension du discours passe en fait par d'autres voies. La forme sur laquelle focalisent de nombreux commentateurs de texte n'est pas donc une fin en soi, mais un moyen qui permet de saisir le véritable sens du discours analysé. Les signes révélateurs qui constitue cette forme nous renvoient, d'une part, directement aux principes organisateurs de ce type de produit de communication et nous révèlent, ensuite, les règles qui ont été retenues lors de cette production. En un mot, l'analyse du discours repose beaucoup plus sur les modes de fonctionnement que sur le fonctionnement lui-même. Il ne faut donc pas tomber dans le lacs et considérer la connaissance de la forme comme étant la clef de la compréhension du message véhiculé par le discours analysé. Les lois du discours sont là pour aider le lecteur à accéder à une compréhension plus précise du texte-discours.

 

Pour Ducrot, déterminer ces lois revient à identifier, dans la trame du discours, les principes oratoires fondamentaux, et à saisir le fonctionnement du langage.     Ainsi retient-il les lois suivantes :

  • Loi de sincérité : dans son discours, on est tenu de ne dire que ce qui est vrai ou considéré comme tel, de transmettre l'information sans interpolation, sans parti pris, ni préjugés. Si l'on parle à la légère, si l'on plaisante, le destinataire (le lecteur) n'accordera aucune confiance au locuteur, si convaincant qu'il soit ; parce qu'il estime que les propos tenus ne sont pas sérieux et sont inconséquents. La communication risque donc d'engendrer une incompréhension entre les deux interlocuteurs. En vertu de cette loi, la base de l'échange est sera la réalité. Mais rien n'empêche que le locuteur donne libre cours à son imagination à condition que le destinataire soit tenu au courant. Ainsi porte-t-on sur la couverture d'une production de fiction la mention «roman». Il n'en est pas de même pour un livre d'histoire qui prétend rassembler des événements vrais ou considérés comme tels.
  • Loi d'intérêt : La sincérité, au sens de Ducrot, n'est pas le seul garant pour la réussite de l'échange verbal ou scriptural.  La communicateur-scripteur doit également intéresser le destinataire. Cet ingrédient est une condition sine que non pour livrer une information et entretenir une communication authentique. «S'adresser à autrui, c'est l'engager dans un processus d'interaction où il doit trouver quelque avantage, que ce soit un bénéfice matériel  on est ainsi en droit de l'avertir d'un danger qui le menace  ou un plaisir.» (Baylon & Mignot, p. 135). C'est ainsi que pourraient s'expliquer les difficultés  éprouvées lors d'une conversation avec un inconnu. (cf. Conversation dans un train, dans une salle d'attente, etc.) Des sujets passe-partout pourraient, dans les meilleurs des cas, déclencher une conversation qui tombe souvent très vite (le temps qu'il fait, le retard du train, l'efficacité ou l'inefficacité du médecin, etc.) Mais, les détenteurs de l'autorité, en l'occurrence les enseignants, «imposent» leur parole parce qu'elle est considérée en elle-même comme intéressante (les programmes, par exemple, dans le cadre de l'institution scolaire).
  • Loi d'infomativité : Dans toute conversation (orale ou écrite), on est censé apporter au destinataire des informations qu'il ignore, sinon le locuteur s'expose à des reparties de type « je le sais déjà » ou « tu ne m'apprends rien », « tu me l'as déjà dit ». (cf. Informations radiodiffusées ou télévisées de la journée). Ces informations sont censées l'informer sur une situation d'actualité qu'il ignore ou qu'il comprend vaguement. Cette loi est proche de la loi d'intérêt. Pour qu'un énoncé ait une prétention informative, les linguistes parlent de thème et de rhème. Le thème reprend habituellement le «déjà connu» et le rhème est l'apport original exigé par le principe d'informativité (cf. Comparer l'apport rhémique d'une radio ou d'une télévision en ce qui concerne un événement donné). Le rhème ne serait-il pas une implication subjective dans l'énoncé.

 

 

D'autres types de fonctionnement discursif contribuent aussi à la compréhension du discours-texte, à savoir le classement et la typologie des textes.

 


 

[1] Paul Grice (1913-1988) philosophe britannique.

[2] Pour Grice, tout énoncé à une fonction communicative. Il est inscrit dans quatre maximes essentielles. La » maxime de quantité » consiste à fournir la quantité d'informations nécessaire sans s'attarder sur des considérations générales. La « maxime de qualité » exige du sujet parlant de ne dire que ce qu'il considère comme vrai. La « maxime de pertinence » le rattache exclusivement au thème de l'échange. La « maxime de manière » lui demande d'être clair, précis et méthodique ; l'ambiguïté n'est donc pas tolérée.



20/02/2011
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