LEXICARABIA

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Analyse de texte. Test de français

 

L'analyse de texte.

Test d'évaluation normative

proposé au concours d'entrée au CPR (2004)

 

 

Dans un espace public fragmenté,

Dépassé, livre ?

 

A la culture qui, livre au cœur, irriguait la société, succède la communication fragmentée, où toute parole est autorisée, mais également dédaignée.

 

 

Le chiffre trois exerce-t-il toujours son pouvoir magique sur les esprits contemporains? Force est de constater que les fresques à l'emporte-pièce qui aménagent l'histoire en trois volets (le dernier étant naturellement le meilleur) obtiennent quelque faveur chez les gens pressés, rassurés sur leur propre inclusion dans le nouvel âge paradisiaque.


Ces trois étapes seraient, d'après le poncif, une société orale (archaïque, car sans technique, donc sans progrès, sans histoire, sans égalité), suivie d'une société du livre (déjà en bonne voie vers le progrès scientifique, l'égalité et la liberté, grâce à l'imprimerie), puis une société de la communication électronique.


Il est évident, pour qui s'est un peu occupé d'histoire des idées ou des civilisations, de sociologie ou d'anthropologie, qu'une telle conception est erratique dans son contenu, mais aussi dans la méthode qui la sous-tend, et qui consiste à brosser de larges tableaux d'ensemble, où l'on inscrit pêle-mêle inventions scientifiques et techniques et évolution des mœurs sociales et politiques, en établissant un lien de cause à effet des unes aux autres. Le rôle et la fonction du livre, de la lecture et, partant, de l'écriture, ne peuvent être approchés d'une façon aussi cavalière. A chaque époque, y compris à la nôtre, coexistent plusieurs types de communication du savoir. Il faut surtout remarquer les liens multipolaires, aux rationalités multiples, qui s'établissent entre les nouvelles techniques et les changements constatés dans la société, liens qui interdisent d'établir une causalité unilatérale entre technique et société.


Le rapport entre l'oral et l'écrit passe par un concept de lecture qui est loin d'être univoque. Dans la Grèce antique, la lecture a d'abord été orale, à haute voix (en détachant bien lettres et syllabes) devant des auditeurs, avant d'être silencieuse, c'est-à-dire individuelle. Le passage de la haute voix, qui appelle critique et discussions dans un espace « public », à la lecture silencieuse, qui ne peut devenir publique qu'après coup, est un moment significatif dans la transformation des mœurs, mais aussi dans la définition des termes « public » et « privé », « communauté » et « individu », et dans les méthodes d'acquisition du savoir.


[…] Plusieurs textes de Platon prônent la supériorité de la connaissance ascripturale (l'écriture, texte enregistré, est un alibi de la mémoire et provoque la paresse mentale). De plus, le lecteur est dans une position subalterne ; il est soumis à l'écrit qu'il est en train de lire, jusqu'à devenir l'esclave du scripteur. Le rapport lecteur/scripteur est celui d'un élève soumis à son maître […] Le scripteur pour autrui est en position de force, quand l'écriture pour soi est un fait de substitution, une mauvaise copie de la mémoire. D'où l'épithète méprisante lancée par Platon en direction d'Aristote : « C'est un liseur. » Là où nous verrions maintenant un éloge, nous déchiffrons un blâme.

[…]

L'interprétation est une lecture critique, une relecture, et même, comme le voulait Barthes, une réécriture. Par ce statut elle pourrait bien être infinie, chaque texte demandant une interprétation qui elle-même sera interprétée, etc. Le livre a une descendance quasi illimitée, via la population de lecteurs-interprètes... L'interprétation est un élément décisif de l'espace public, libre et critique. […] La question n'est pas simple : si le lecteur-interprète existe toujours en tant qu'élément dynamique, l'espace public s'est modifié ; il est désormais fragmenté à l'extrême, voire dilué. Tout est toujours commentaire. Il n'y a pas de texte initial, absolu, qui serait le garant définitif d'une vérité à dévoiler […]


Si l'idée d'un avènement absolu, quasi divin, l'idée d'une nouveauté radicale a fait partie des eschatologies du XXe siècle - communisme ou fascisme -, elle est désormais révolue. Seuls prophètes qui nous restent : les technologues, qui célèbrent chaque nouveauté technologique en matière de communication. Dans les années 60, c'est la télévision qui va changer l'ordre du monde ; dans les années 70, c'est le visiophone ; dans les années 80, le magnétoscope et la vidéo ; dans les années 90, c'est Internet. Chaque décennie est scandée par ces cris de rédemption. Le bonheur arrive, et l'égalité aussi, l'harmonie sociale, une entente transparente entre tous les hommes de la Terre. La technique fait son office, réglant directement les problèmes sociaux comme les relations interindividuelles.

[…]

Les lecteurs- interprètes ont une lecture différente selon qu'ils ne font que lire ou qu'ils écrivent aussi. L'écrivant regardera d'abord s'il est cité, ce qui peut le mener de l'indifférence à l'hostilité. Il examinera les autres citations, les matériaux dont le livre est fait. Après lecture attentive de la table des matières, de la quatrième de couverture et d'un ou deux chapitres, il déduira l'orientation du livre.


L'interprète-écrivant peut lire attentivement, paragraphe après paragraphe, la plume à la main pour souligner les passages importants ou les contester. Instrumentation de la lecture au service de sa propre prose à venir. Mais cette lecture, qui présente l'avantage solide du pas à pas, présente aussi l'inconvénient de la lourdeur. La présence trop forte de l'autre l'empêche de penser par lui-même.


Un autre disposera du livre et refusera de le lire tant qu'il n'aura pas achevé son écriture. Mais peu lui importe, car il sait que tout est toujours commentaire et que son propre commentaire sera différent nécessairement des textes qui le précèdent. Il sait aussi qu'il vaut mieux lire « à côté » que lire « dedans », échappant ainsi au vertige du « lire dedans », vertige qui, telle une hypnose, vous emporte hors de vous-même, de ce que vous voulez faire, de ce à quoi vous tenez.

[…]                                                               

Mais, au total, Internet favorise-t-il le livre ? Non, car il est écrit-oral (écrit sur le mode de la conversation). Non, parce qu'il contribue à fragmenter davantage l'espace public en dizaines de millions d'espaces-temps mondiaux. Mais il favorise la culture, l'ouverture à l'autre, l'immédiateté d'accès à des textes (livres compris) qui, sans lui, ne seraient jamais connus ou seraient connus avec le grand retard des traductions. Nous critiquons donc moins les technologies nouvelles (télévisions éclatées incluses) que les discours iréniques, justificateurs et mensongers qui les accompagnent.


Chacun connaît la question traditionnelle : « Si vous deviez vivre sur une île déserte, quel livre emporteriez-vous ? » Elle se voit aujourd'hui réduite et simplifiée : « Si vous partiez sur une île déserte, quels objets emporteriez-vous ? » Répondra-t-on « mon ordinateur portable, mon téléphone portable » ? Et le livre ? Il y aura bien un livre, mais quel livre ? Ce ne sera pas le livre du voisin, du collègue ou du cousin. Ce sera un livre inconnu parmi des millions de livres, fruit de la fragmentation extrême de l'espace public.

Lucien SFEZ

Professeur à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Le Monde Diplomatique, décembre, 1999, Page : 28

 

I-                   Analyse textuelle:

 

1.         Présentez sous forme de titres nominaux les principales idées du texte.

2.        L'auteur de l'article cherche-t-il à informer, à argumenter ou plutôt à expliquer le rôle et la fonction du livre ?

- Justifiez votre réponse.

3.        Est-ce que l'auteur de l'article admet les trois étapes évolutives dans le découpage de l'histoire des idées ?

-Donnez une justification à votre réponse par une citation du texte lui-même.

4.       Quelle différence fait-il entre les concepts de lecture à haute voix/lecture silencieuse, lecteur /scripteur, lecteur-interprète/interprète-écrivant, espace public/espace-temps. /2

5.        Qu'est-ce qu'une connaissance ascripturale ? Les parents approuvent-ils la démarche éducative des entreprises ? Pour quelles raisons ?

 

II-                 Analyse linguistique:

 

6.       Faites la description syntaxique des phrases suivantes :

-          Le chiffre trois exerce-t-il toujours son pouvoir magique sur les esprits contemporains?

-          Il est évident qu'une telle conception est erratique dans son contenu.

-          Le rapport entre l'oral et l'écrit passe par un concept de lecture qui est loin d'être univoque.

-          L'interprète-écrivant peut lire attentivement pour souligner les passages importants.

 

7.       Dans les énoncés suivants remplacez les unités lexicales en gras par des équivalents:

-          Il est évident qu'une telle conception est erratique dans son contenu.

-          Plusieurs textes de Platon prônent la supériorité de la connaissance ascripturale.

-          il est désormais fragmenté à l'extrême, voire dilué.

-          Nous critiquons donc moins les technologies nouvelles que les discours iréniques, justificateurs et mensongers qui les accompagnent.

 

8.       Effectuez les modifications verbales dans les énoncés suivants:

-          Il savait aussi qu'il vaut mieux lire « à côté » que lire « dedans » (conditionnel présent)

-          La présence trop forte de l'autre l'empêche de penser par lui-même. (plus-que parfait de l'indicatif)

-          Si vous deviez vivre sur une île déserte, quel livre emporteriez-vous ? (Mettez le verbe introducteur au plus-que-parfait de l'indicatif et réécrivez la phrase)

-          Mais, au total, Internet favorise-t-il le livre ? (passé composé de l'indicatif) 

 

9.       Transcrivez en API le passage suivant:

« Chacun connaît la question traditionnelle : « Si vous deviez vivre sur une île déserte, quel livre emporteriez-vous ? » Elle se voit aujourd'hui réduite et simplifiée : « Si vous partiez sur une île déserte, quels objets emporteriez-vous ? » Répondra-t-on « mon ordinateur portable, mon téléphone portable » ? »

 

III.      III.  Réflexion :

10.    Composez un texte cohérent en répondant en 200 mots environ (20 lignes), à la question « Internet favorise-t-il le livre ? », extraite de l'article de L. Sfez.

 



05/10/2012
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