LEXICARABIA

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La typologie textuelle

Abdelghafour Bakkali 

 

Soit un texte donné, un conte par exemple. Nous avons ici une «histoire» exprimée dans telle langue naturelle : il s'agit d'un ensemble signifiant (ou signe linguistique), c'est-à-dire constitué par la réunion d'un signifiant (=la forme linguistique) et d'un signifié (=l'histoire qui y est racontée).
 J. CourtésIntroduction à la sémiotique narrative et discursive, Paris, Hachette, 1976, p. 38.

 

 


La typologie, terme utilisé par Jean-Michel Adam, est fondée essentiellement sur des critères linguistiques observables dans le texte étudié. On a souvent emploTypes de textes.jpgyé pour cette même étude les expressions type de discours et forme de discours. On a, à titre d'exemple, des textes dialogués, poétiques, injonctifs, descriptifs, narratifs, argumentatifs, explicatifs, informatifs, etc.
Cependant, il ne faut pas confondre type et genre de textes. Dans le genre, on classe les textes selon des visées plus larges: on a la fable, la poésie lyrique, l'épopée, le roman épistolaire, la comédie, la tragédie, la tragi-comédie, etc. Mais en typologie, le classement renvoie aux visées textuelles qui se traduisent par les indentions de l'auteur ou la forme adoptée pour signifier ces mêmes indentions. Et ainsi le texte regroupe un certain nombre de caractéristiques susceptibles de le distinguer d’une autre production écrite. Le travail revient donc à déterminer ces traits distinctifs qui lui sont inhérents.

 

Des linguistes, s'appuyant sur des critères de classement divers, ont soutenu l'idée d'une typologie des discours susceptible d'aider à la lecture et compréhension des textes. Les uns se sont référés, en termes de marques formelles, au fonctionnement rhétorique (dialogue, argumentation, narration, description) ; les autres ont adopté une classification de l'action sociale (discours polémique, discours scientifique, discours didactique, discours politique, historique, etc.) Or, il faudrait retenir que cette typologie repose d'abord sur les visées du locuteur-scripteur, ensuite sur le fonctionnement formel du discours. Il y a donc un rapport évident entre les intentions du producteur du discours (exprimées explicitement ou suggérées) et l'organisation de l'énoncé, inscrite dans une forme plus ou moins «conventionnelle» ou « conventionnalisée ». Signifiant et signifié sont donc les principaux volets d'un texte ; ils s'interagissent et sont interdépendants.  Identifier le type de texte lu, dans un éventail de textes d'une complexité et d'une diversité parfois rebutantes, suppose eu égard la focalisation sur ces deux dimensions. Pour une typologie plus globale et plus fonctionnelle, il suffit de distinguer dans un texte des éléments qui relèvent de l'acte d'informer et ceux qui ont la vertu de communiquer. (Ibid. 15 sq.) . Ainsi réduit-on cette complexité typologique à deux principaux types : ceux qui transmettent une information et ceux qui entretiennent une communication.

 

D'abord l'acte d'informer qui implique, avant tout, la nature des éléments qui constituent le produit informationnel ; autrement dit, le fait de rapporter un événement, par exemple, ou de décrire des situations. Ainsi pourrait-on avoir :

  •    L'information la plus directe (non organisée) : comme dans un catalogue alphabétique, un annuaire de téléphone, un dictionnaire, une encyclopédie, etc.
  •   La description est également une information non organisée. On pourrait, en effet, commencer par A plutôt que par B, ajouter ou retrancher des détails à l'infini. Mais cette liberté apparemment désordonnée pose un véritable problème au scripteur. Comment, par exemple, terminer verbalement une description ? Comment donner au destinataire le sentiment de clôture ?… Il y a, d'autre part, des informations brutes transmises spécifiquement par les descriptions scientifiques. Le langage utilisé appartient à un domaine particulier et ainsi on évite toutes sortes d'ambiguïté. Il relève de ce fait de l’objectivité.
  •    La narration : c'est une forme artificielle ; le discours est construit selon un certain nombre de normes (culturelles, sociales, psychologiques, logiques, structurelles). Il y a des codes sociaux admis presque à l'unanimité par une communauté culturelle (le mariage, le bien et le mal), ces artifices permettent, en effet, au récit de démarrer et ensuite de se terminer. On assiste, dans ce type de texte, à la problématique du commencement et de la fin. Tout dans le récit concourt à la préparation de la crise, de l'affrontement central et à un dénouement arrangé de façon telle qu’il satisfait le lecteur.

       

     Ensuite, vient l'acte de communiquer. On distingue grosso modo dans le processus communicatif:

  •  L'entente : face à l'information pure (description) se dresse la communication. Le destinateur, dans ce cas, cherche par tous les moyens à établir une entente avec le destinataire, car on ne peut persuader, informer un interlocuteur ou encore son consentement si l'on se trouve en désaccord complet avec lui. Cette entente est généralement non organisée.
  •   L'argumentation est aussi une forme artificielle comme d'ailleurs la narration. L'argumentation est une forme d'action directe sur le destinataire, une forme qui relègue l'information au second plan sans pour autant la négliger et insiste particulièrement sur les actes  convaincre, délibérer, persuader. Ce qui reste en défintive du message: c'est persuader le destinataire. Le texte argumentatif s'enferme généralement dans un structure formelle normative. L'argumentation est donc la manière de présenter et de disposer des arguments de sorte qu'on prouve ou réfute une thèse. Elle se différencie cependant de la démonstration qui «[...] est une déduction visant à prouver la vérité ou la probabilité calculable de sa conclusion, à partir de prémisses admises comme vraies ou probables». (Chaïm Perelman: 2, 937a). Mais «L'étude de l'argumentation analysera les techniques discursives permettant de provoquer ou d'accroître l'adhésion d'un auditoire aux thèses qu'on présente à son assentiment.» (Ibid. 2, 937a)

 

 

In fine, la narration et l'argumentation relèvent, d'après A. Kibédi Varga, de  l’hypotaxe, i.e. les textes narratifs et argumentatifs admettent une structure préétablie, un schéma officiel, normatif, une forme conventionnelle. Mais la description et l'entente, qui ne sont bâties sur aucune structure préétablie, appartiennent au domaine de la parataxe. A. Kibédi Varga retient la représentation suivante :

 

La description et l'entente sont deux éléments, de longueur inégale, et dont les parties se suivent sans ordre et sans contraintes formelles préétablies.  C'est le domaine de la parataxe[1] qui ignore la clôture. La narration et l'argumentation sont, au contraire, astreintes à une structure hypotactique, et confèrent par-là un mouvement «progressif» au texte et est souvent sanctionné par une fin minutieusement préparée (clôture). C'est pourquoi en  grammaire de texte considère a priori qu'il existe deux grands types de textes:

 

  •      Les textes narratifs et
  •      Les textes argumentatifs, 

 

et que les autres types sont soumis à ces deux-là (texte injonctif, explicatif, informatif, descriptif, polémique, etc.) Dans ce cadre, peut-on estimer que tous les textes sont hypotactiques, en dépit même des apparences et des types ? Pour certains, c'est une illusion. Pour d'autres, l'hypotaxe est le propre de certaines productions littéraires : le théâtre classique, le roman policier, le conte, la nouvelle, etc. Ces types de textes peuvent nous donner l'impression d'un déroulement qui progresse inévitablement vers une fin. On a de ce fait :

 

situation initiale     →     crise    →    affrontement central    →    dénouement

 

La typologie textuelle  ne se limite pas à ces deux critères (information et communication), la grammaire de texte propose cinq autres types :

 

  1.   Le texte descriptif admet un arrangement dans l'espace.
  2.   Le texte narratif centré sur une progression temporelle des événements relatés.
  3.  Le texte expositif dont les visées sont focalisées sur l'analyse et la synthèse des représentations conceptuelles.
  4.   Le texte argumentatif developpe une prise de position.
  5.   Le texte instructif ou prescriptif, exhortatif incite à l'action.

 

 

 

      La liste s'étend davantage avec Jean-Michel Adam[2]. Il distingue, quant à lui, huit types :

1.  Le type textuel narratif («énoncés de faire ») inscrit dans un déroulement temporel et causal (remarquez le mot chrono-logique !) : cf. reportage (sportif ou journalistique), le fait-divers, le roman, les nouvelles, les contes, le récit historique, la parabole, les publicités narratives, le récit politique, le cinéma, la BD, les PV d'accidents…

2.  Le type de textes descriptif  (« énoncés d'état ») en étroit rapport avec un arrangement spatial des propositions. Ce type d'énoncé se réfère au discours lexicographique. On le retrouve généralement dans la littérature, la publicité, les prospectus touristiques…

 

Dans ses Textes, J.-M. Adam distingue dans le processus de la formation du texte descriptif trois niveaux essentiels : d'abord, l'opération de l'ancrage qui donne le thème ; ensuite, vient le processus d'aspectualisation, c'est-à-dire le découpage en parties ; enfin, la qualification par le recours aux verbes être et avoir, aux verbes d'action. On a donc l'exemple suivant :

 

- Il était le plus généreux des ses connaissances.

- Elle avait une relation louche avec son voisin.

- L'homme fort cassait la buche ainsi qu'une allumette.

 

3.   Le type de texte expositif ou explicatif : il s'agit d'expliquer ou faire comprendre quelque chose, tels que les discours didactique, scientifique, etc.

4.  Le type de texte argumentatif : c'est l'acte du discours « convaincre (persuader, faire croire). Argumenter repose sur l'art de persuader, de démontrer et de convaincre. L’argumentation s’appuie sur un thème (sujet), soutient une thèse (un point de vue, une opinion) et répond à une problématique formulée généralement sous forme de question. On essaie de convaincre son interlocuteur à modifier son comportement ou à agir.

 


 Exemple :

 

 

  • THÈME               →           Mariage mixte

 

  • Problématique  → - formulée sous forme de question : → - Le mariage mixte ne serait-il pas désavantageux aussi bien pour la femme que pour l’homme ? - Comment concevoir une union entre deux personnes ayant une éducation et des cultures diamétralement opposées ? Ou encore le mariage mixte n’est-il pas enrichissant pour les sociétés respectives ? 

 

  • Thèse   →   Prise de position et réponse directe ou nuancée.

- Le mariage mixte est incontestablement un choix hors contexte et hors situation. Il aboutira à un échec cuisant pour le couple.

- Cette union, incongrue, pourrait réussir, du moins partiellement, si le couple comprenait dès le départ le risque que cela suppose. 

 


          
  La thèse est soutenue par des « éléments de preuves », dits arguments ou prémisses. A la conclusion « le mariage mixte est un choix non fondé », des arguments, stratégiquement choisis, ont été avancés alternant le rationnel et l'empirique, les arguments reposant su le logos, le pathos ou sur l'ithos.  

5.  Le type de texte prescriptif, injonctif : l'acte ordonner, inciter à faire définit ce type. On le retrouve dans les modes d'emploi, les recettes de cuisine, les consignes en général.

6.  Le type de texte prédictif : est utilisé dans l'acte du discours prédire que l'on retrouve dans la prophétie, le bulletin météorologique et l'horoscope.

7.   Le type de texte conversationnel : actualisé dans l'interview et le dialogue. Il est marqué par les actes de parole : questionner, remercier, menacer, nier, etc. (cf. le dialogue romanesque ou théâtral).

8.  Le type de texte rhétorique : est le propre du poème, de la prose poétique, la chanson, la prière, le slogan, le proverbe, le dicton, la maxime, el graffiti.

Schématisons :

 

Notons par ailleurs que la majorité des textes relèvent des discours  pseudo-hypotactiques, c'est-à-dire qu'ils présentent, bien qu'ils aient des rapports structurels avec les  constructions paratactiques, un début (une entrée en matière, une ouverture) et une fin (clôture). Ils sont particulièrement présents dans le domaine de l'oralité. La « une rencontre dans la rue», par exemple, génère la structure suivante :

  • Salutations: cérémonie conventionnelle et artificielle. Elle pourrait, dans une large mesure, marquer le début (et aussi la fin) d'une conversation.
  • Conversation proprement dite: an cours de cette phase, la parataxe règne: d'abord, s'informer sur la santé, parler du temps, ensuite, parler de la cherté de la vie, des difficultés scolaires des enfants, de l'ingratitude des gens, etc.

Il est évident que les actants de la conversation sont dépendants de leur statut socioculturel respectif  et aussi ils ne réagissent qu'en fonction du centre d'intérêt des événements discutés.

  • Arrêt de la conversation (sentiment de clôture): Il fait froid, le bus arrive, les élèves sortent de l'école, exaspération de l'un des interlocuteurs ou des deux à la fois, etc.

 

Dans le domaine oral, la fréquence de textes paratactiques est la plus importante, parce que l'oralité est souvent spontanée, c'est-à-dire proche des exigences de la réalité et de la vie quotidienne. Le texte écrit cependant présuppose une intentionnalité. Le roman reste, pour une large part, un champ d'exploration de l'hypotaxe et de la parataxe. La Princesse de Clèves et Madame Bovary, à titre d'exemple, sont des récits hypotactiques ; Le Diable boiteux de Le Sage, La Vie mode d'emploi de Georges Perec sont cependant des textes construits selon une structure somme toute paratactique.

 

On remarque, dans le cas de la conversation ou à plus forte raison dans les textes hypotactiques ou pseudo-hypotactiques, que l'interaction verbale est délimitée par la rencontre et la séparation des acteurs du dialogue. Cette interaction est donc constituée de 3 échanges :

 

  • L'ouverture,
  • L'échange principal constitué de plusieurs transactions et
  • La clôture.

 

Cette hiérarchisation est pratiquée dans le domaine de l'«analyse hiérarchique du discours». Le processus de l'échange fait en effet intervenir, à un moment et dans un espace donnés, au moins deux interlocuteurs (discours dialogal) qui s'opposent parfois et se justifient (discours dialogique). Chaque échange s'analyse en un certain nombre d'interventions de nature positives ou négatives. Il s'agit notamment d'un savoir-faire discursif : les actants de la communication cherchent, chacun de son côté, à prendre l'initiative pour que l'échange se poursuive. Cette prise d'initiative d'une intervention par le locuteur impose à l'allocutaire trois types d'obligations :

  • Réaction verbeuseHum! oui») ou gestuelle (mouvement de la tête ou des yeux),
  • Réaction à la fonction illocutoire en rapport avec l'intervention et
  • Réaction capable de satisfaire le désir exprimé par le locuteur. (Voir Baylon & Mignot, p. 156).



[1] En linguistique, la parataxe est un ensemble de phrases juxtaposées sans qu'elles aient de mot de liaison indiquant  le rapport entre les propositions.

[2] Jean-Michel Adam, 2005, Les textes : types et prototypes, 2ème édition, Armand Colin



18/03/2011
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