LEXICARABIA

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La cohérence/cohésion textuelle

Abdelghafour Bakkali

"[...] il y a une logique totale du tableau ou du spectacle, une cohérence éprouvée des couleurs, des formes spatiales et du sens de l'objet. Un tableau dans une galerie de peinture, vu à la distance convenable, a son éclairage intérieur qui donne à chacune des taches de couleurs non seulement sa valeur colorante, mais encore une certaine valeur représentative."
 Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception,1945, p. 361.
 

 

 

 

 

 

Le type ou le classement des textes écrits nous facilite, comme nous l’avons d’ailleurs suggéré dans les précédents articles, l’accès au sens du texte, sans pour autant omettre d’identifier les visées de la production écrite. Ce n’est pas tout, l’approche pragmatique suppose, d’autre part, une analyse qui repose essentiellement sur les fonctions de l'écrit textuel. On essaie de déterminer, selon une approche spécifique, les tenants et aboutissants du discours, les intentions de son producteur, son désir d’influencer ou de rester « éloigné » de son destinataire, ses motivations, etc. On distingue, selon cette perspective analytique, un certain nombre d'éléments d’échange. D’abord, des éléments qui ont une fonction illocutoire initiative (notés FII) et dont les fonctions donnent des droits ou imposent des contraintes à l’interlocuteur, telle que la demande d’information, de confirmation, d’offre, d’invitation, de relance, etc. Ensuite, des éléments qui ont une fonction illocutoire réactive (notés FIR). Ces FIR  permettent l’exploitation du rôle argumentatif d’un constituant discursif, comme la justification, le commentaire, l’explication, la concession, etc. or, les marques argumentatives ont une fonction pertinente ; on introduit certes une concession, on use sciemment des conjonctions car, parce que, puisque, on justifie et on explique, on débouche sur des conclusions introduites généralement par les expressions de conséquence donc, par conséquent. Dans la trame de son raisonnement, on agit par contre-argument ou objection en utilisant mais, toutefois, cependant, néanmoins, etc. 

Cette analyse s’articulera selon la structure visualisée par le diagramme suivant :

 

 

 

Rappelons que le texte, unité supraphrastique, est saisi, selon cette approche, soit par sa structuration hiérarchique, soit encore à travers les fonctions qu'il entend remplir. Mais, cette démarche ne serait en aucun cas appliquée à tous les types de textes. La segmentation en éléments constituants est facteur aidant à la lecture et à la compréhension des ces unités plus grandes que sont les textes. Les appliquer systématiquement brouille au lieu d'éclaircir. Ceci étant, il est impératif de voir aussi comment s'enchaînent les éléments intra-discussifs en mettant l'accent sur le principe cohésif d'une production écrite et/ou orale.

 

Comment s'effectue l'articulation intertextuelle ? Comment s'organisent les différents éléments d'un discours ? Comment s'agencent les composantes de la texture ? Aussi est-il important d'étudier la cohérence textuelle. Un texte, rappelons-le, n'est pas une suite de phrases juxtaposées, mais dans une succession signifiante de signes (cf. Harald Weinrich) organisés selon un système équivalent à la grammaticalité concernant la phrase. L'ordre suivant visualise eu égard cette cohérence intertextuelle :

 

Phrase 1 + lien + phrase 2 + lien + phrase 3 + cohérence… phrase n + lien 

 

 

La cohérence (ou cohésion) est issue du mot latin Cohaerentia qui signifie «adhérer ensemble». Le Petit Robert définit cohérence comme étant d'abord l'«union étroite des divers éléments» ou encore «liaison, rapport étroit d'idées qui s'accordent entre elles, absence de contradiction»; et ensuite, il attribue à cohésion l'acception «caractère d'un ensemble dont les parties sont unies, harmonisées». C'est donc un rapport d'harmonie et d'organisation logique entre les éléments qui constituent le texte. Quant au TLF, on relève les précisions suivantes de la cohérence du discours : «Harmonie, rapport logique, absence de contradiction dans l'enchaînement des parties de ce tout. »

En sémiotique, on parle, semble-t-il, indifféremment de cohérence discursive, de cohérence textuelle ou de cohésion : c'est, selon cette visée, le résultat de l'articulation d'une pluralité de structures transphrastiques, en fonction de conditions de production particulières. A. J. Greimas, dans sa Sémantique structurale (1966)[1], expose la notion d'isotopie qui signifie en sémantique la «redondance d'éléments dans un texte permettant la compréhension de ce dernier »[2], ou encore la cohérence interne du discours[3]. Il s'agit de définir des unités de discours transphrastiques en se référant généralement à des critères de substance :

 

  • Contexte spatio-temporel du texte ou du discours,
  • Identité des participants,
  • Continuité du thème traité (cf. Baylon & Fabre 1978: 74-80 et Ducrot 1972)

Si, par exemple, Greimas insiste plus particulièrement sur la répétition de certains éléments sémantiques d'énoncé à énoncé (ces éléments ont en effet pour fonction primordiale d'unifier les unités du discours), certains sémioticiens se tournent plutôt vers la définition des termes texte et texture. «Un message ou une séquence quelconques du discours ne peuvent être considérés comme isotopes que s'ils possèdent un ou plusieurs classèmes en commun » (A. J. Greimas, Sémantique structurale, Larousse, 1966, p.53). Ou encore : l'isotopie est «la permanence d'une base classématique hiérarchisée » (Idem, p. 96).  A. Hénault définit l'isotopie comme étant «[…] la résultante de la répétition d'éléments de signification de même catégorie. »[4]

 

Retenons, sous une autre perspective, le mot texte signifie «l'unité de base de la signification dans le langage ». C’est donc une unité organique, un tout sémantiquement unifié. On rejette évidemment toute homologie entre texte «unité de sens» et phrase «unité de forme». La texture est l'organisation formelle d'un texte, les différentes sutures qui cousent ensemble, qui assurent sa continuité sémantique, son isotropie. La texture ainsi définie pourrait se manifester en trois strates ou niveaux :

 

1. Niveau supra-phrastique : c'est la «structure du discours», la «microstructure». C'est une matrice dans laquelle se coule un texte.

2. Niveau intra-phrastique : la texture a, dans ce cas, une double organisation : une organisation de nature psychologique (des éléments d'informations qui relèvent du thème et du rhème) et

 une organisation de nature logique (liens qui unissent ces éléments).

3.  Niveau inter-phrastique : la texture rappelle la technique du «tissage». Le mot texte dérive notamment du latin texere « tisser» qui suppose à la fois fabriquer et transformer un tissu. Le texte est d'abord une production et il est ensuite une transformation de l'objet que l'on produit. Il s'agit en fait d'une opération d'arrangement des parties d'une production selon une structure cohésive. Le niveau intra-phrastique du discours-texte acquiert la désignation de cohésion discursive chez de nombreux sémioticiens. Que ce soit l'une ou l'autre dénomination, le repérage de l'harmonie dans un texte est l'un des principaux chapitres de la textologie.

 

Ceci étant, nous pourrons grosso modo retenir deux types de cohérence/ cohésion :

 

1.    Cohérence culturelle :

La cohérence/cohésion d'un texte rappelle stricto sensu la fameuse eurythmie observée dans les œuvres d'art plastiques et musicales. La structuration hiérarchique d'un texte-discours se réalise selon une progression qui tient compte de l'ouverture, de l'échange et enfin de la clôture. Et ainsi, on obtient une sorte d’harmonie dans sa composition.
       
       Pour chaque catégorie de textes correspond donc une matrice textuelle. Il ne faut pas cependant confondre cohérence et redondance.

e. g.: Dans la phrase suivante, les signes du féminin sont redondants ou pragmatiques : Ces villes sont accueillantes.

Mais, la proposition dans Mon ami, lui, est généreux,  il est plutôt question de cohérence et non de redondance.

 

2.    Cohérence linguistique:

Ce type de cohérence établit un lien à la surface entre deux ou plusieurs signes linguistiques et contribue efficacement à  la compréhension. Elle se produit simultanément à trois niveaux ou encore trois versants :

Prosodique : cette espèce de cohérence caractérise particulièrement les textes poétiques (mètres, rythme, rime, assonance, etc.). Elle est parfois pratiquée dans des textes en prose (cf. l'épreuve du « Gueuloir» pratiquée par Gustave Flaubert et les Poèmes en prose de Baudelaire).

Syntaxique : Dans le système grammatical, les relations cohésives sont assurées par des connecteurs diaphoriques : «Pour la syntaxe, la majorité des éléments qui assument la cohérence d'un texte peut être désignée par l'expression « connecteurs diaphoriques » : plusieurs phrases se trouvent reliées entre elles à l'aide de pronoms qui, en soi, ne signifient rien et qui empruntent leur sens au mot auquel ils renvoient (anaphore) et qu'ils annoncent (cataphore) » (Voir Kibédi Varga, op. cit., pp.21-22). Ainsi pourrait-on avoir :

-         Les pronoms (anaphore et cataphore): «Mme Bovary» est reprise par «elle», «celle-ci», «cette dernière».

-         L'article défini : La voiture noire s'arrêta devant la ville. Cette expression implique qu'on a déjà parlé de ce véhicule (l'article la a une valeur anaphorique).

-         Les adjectifs dits démonstratifs : un homme ----- cet homme.

-         La nominalisation : Ils se sont réunis. -------- Cette réunion.

-         L'emploi des temps verbaux : les temps verbaux remplissent aussi une fonction analogue: dans la phrase Jeanne revint du travail, Paul faisait la vaisselle l'imparfait a une valeur anaphorique : Il faisait la vaisselle bien avant l'arrivée de la femme). Dominique Maingueneau  insiste, dans ses Approches de l'énonciation en linguistique française 1981, sur le rôle des temps verbaux dans la structuration des textes. «Les temps possèdent a priori une fonction décisive dans le réseau des relations interphrastiques qui assurent la cohérence d'une unité textuelle» (cité par Baylon 1991: 245), par la position qu'ils occupent, par leur répétition, par leurs changements.

-         Les conjonctions : (Mais, ou, et, donc, or, ni, car, par conséquent, puis, etc.) n'ont pas besoin d'un autre mot dans le texte pour acquérir pleinement un sens, elles ont une  valeur contextuelle.

 

Dans le domaine pédagogique, la présentation de ce type de cohérence permet à l'enseignant de proposer des activités dans lesquelles il puisse demander aux apprenants de relever toutes les occurrences de x et d'identifier des éléments saillants qui constituent si l'on veut la charpente du texte étudié. Ce travail permet conséquemment de contrôler que les élèves-lecteurs sont sollicités à établir correctement les rapports de coréférence (termes qui envoient à un même référent dans un texte) et ne font pas, par conséquent, de confusion dans les différents antécédents des éléments anaphoriques.

Sémantique :

Cette cohérence repose essentiellement sur des substitutions lexicales : la langue comporte en effet des équivalences sémantiques qui permettent de reprendre certains mots du texte  par le biais d'éléments lexicaux. Il y a donc des relations de divers ordres entre ces termes et les différentes substitutions. Dans un texte, on doit, par exemple, repérer des relations lexicales suivantes pour l'établissement de la cohérence/cohésion:

Des relations synonymiques ou parasynonymiques : Toile est reprise par tableau.

- Des relations hyperonymiques : on passe d'un terme générique à un terme spécifique. On substitue à Œuvre d'art le mot toile. 

- Des relations hyponymiques : c'est l'opération inverse; on passe d'un terme spécifique à un terme englobant. Chien est rappelé par animal

- Des relations antinomiques : c'est une sorte de relation, de répétition niée. En principe s'oppose, dans le cours du texte, à en pratique

- Des relations partitives: un terme est décomposé en constituants inférieurs. [Maison se fragmente en  porte, volets, fenêtres, chambres, toit, etc.]

 

Les reprises peuvent également être de nature métatextuelle, i.e. concernant un élément de discours et non un «référent extérieur», comme précédemment. Il en est ainsi des expressions anaphoriques qui « résument » ce qui a été énoncé dans l'avant du texte, telles que : cette hypothèse, cette constatation, cette pratique, dans le premier chapitre, etc.   

 

Les substitutions lexicales renseignent également sur une corrélation étroite entre les différentes unités qui constituent un texte, que ce soit les mots ou les phrases, la structure ou le sens. La reprise et la progression de l'information constituent eu égard la grammaire du texte. Le lecteur pourrait aisément relever les occurrences lexicales comme il pourrait aussi identifier les connecteurs grammaticaux qui forment dans un texte un réseau dont la fonction est de dévoiler la rigueur de la construction cohérente du discours. Maupassant est repris par romancier, puis par l'auteur de Pierre et Jean. Mais les substitutions de type grammatical ne font, en principe, que reproduire le système de la langue.

 

On pourrait présenter l'exemple tire de l'article consacré au mot d'entrée  « habitation » du Memento Larousse que cite Kibédi Varga, on Discours, image, récit, p.23 est un exemple du «tissage» dont fait l'objet un texte :

 

«L'habitation nous défend du froid et de l'humidité. En principe, elle doit être isolée du sol par les caves, et orientée de manière à recevoir abondamment du soleil et de l'air. En pratique, on prend le logement que l'on trouve et qui correspond à ses possibilités pécuniaires.»

 

Comment donc est assurée la cohérence interne de ce texte ? 

- Les termes habitation et logement entretiennent entre eux une relation de synonymie (RS).

-   Les expressions en principe et en pratique entretiennent entre elles une relation antinomique (RA).

-   L'habitation nous défend contre le froid parce qu'isolée; elle nous protège contre l'humidité parce qu'elle est bien aérée (entrée abondante du soleil et de soleil) : il s'agit ici d'une relation hyponymique (RHyp.): L'isolation et le soleil impliquent l'absence du froid et de l'humidité.

 

Visualisons pour mettre un point final à cette partie de l'exposé la cohérence/cohésion textuelle :

 

                                                           

            

Pour l'instant, nous allons aborder un autre genre de texte : le monologue. Notre attention sera particulièrement attachée à la structuration du monologue etaux intentions du monologuant et . Notons que le « langage intérieur » ou encore la « parole intérieure » dévoile « des zones plus ou moins claires où se tissent les sous-entendus, les présupposés. Les régions intimes du « parler à soi » côtoient les séquences de l'« à peine dit », là où le langage fonctionne aussi comme un inconscient et se mêle à tout l'inconscient non langagier. »[5] Dans sa Parole intérieure, Victor Egger ouvre son chapitre premier par la phrase significative « A tout instant, l'âme parle intérieurement sa pensée ». Un peu plus loin, il note que « Cette parole intérieure, silencieuse, secrète, que nous entendons seuls, et surtout évidente quand nous lisons : lire, en effet, c'est traduire l'écriture en parole, et lire tout bas, c'est la traduire en parole intérieure ; or, en général, on lit tout bas. Il en est de même quand nous écrivons : il n'y a pas d'écriture sans parole ; la parole dicte, la main obéit… »[6]

 

L'étude structurelle que nous allons accorder au monologue ne prétend nullement décrire les manifestations psychologiques de la parole intérieure, mais elle se contentera de préciser, surtout dans le monologue dramatique, comment sont agencées ses différents constituants, comment il débute, de quelle façon il se développe et comment il se termine ; autrement dit, on essaiera de reconstituer sa structure hiérarchique.

Notons aussi que dans cette perspective globale cohérente, on identifie dans tout texte un acte énonciatif, un acte de langage qui pourrait se décliner en 3 actes fondamentaux :

1-      Acte de référence :

-         On parle d'un segment de réalité (réel ou fictif)

-         On adopte une structure thématique : progression thématique ; on développe le thème de base.

2-      Acte de prédication : on dit quelque chose de ces objets du monde : structure sémantique.

3-  Acte illocutionnaire : on raconte, on décrit, argumente, informe, explique, raille, etc.



[1] Greimas, directeur d'études de sémantique générale à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes de Paris, propose, dans sa Sémantique structurale, sous forme d'hypothèse, une théorie universelle, « capable de décrire tout ensemble signifiant, sous quelque forme qu'il se présente» (p. 16). S'inspirant de linguistes dont les idées directrices diffèrent considérablement et s'opposent souvent (R. Jakobson, V. Brondal, L. Hjelmslev, L. Tesnière, B. Pottier, et bien d'autres), s'appuyant sur les données de l'anthropologie, de l'épistémologie, de la psychologie et de l'idéologie psychanalytique, Greimas élabore une vaste synthèse, comprenant notamment la sémantique linguistique, la sémantique littéraire et la sémantique anthropologique.

[2] L'exemple [Le petit enfant déjeune tôt le matin. A dix heures, il mange une pomme. Juste après, une heure environ, il se gave de bonbons.] Pour l'isotopie de la nourriture, on a les verbes déjeuner, manger, se gaver. Cela explique que l'isotopie est un procédé sémantique qui désigne la présence d'un même sème unité minimale
de signification
isolable dans un terme
dans plusieurs termes d'un texte, ce qui permet de les relier entre eux et de comprendre le fonctionnement structurel du discours écrit..

[3] Pour d'amples détails, cf. Michel Arrivé, Pour une théorie des textes poly-isotopiques.

[4] A. Hénault, Les enjeux de la sémiotique, PUF, 1993, p.81

[5] A. Fernandez-Zoïla,  Psychopathologie du discours délire, p. 22



18/05/2011
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