LEXICARABIA

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Le sémantisme textuel

                                                                             Abdelghafour Bakkali

 

 

« Qu'est-ce qu'un  texte, pour l'opinion  courante ? C'est la surface phénoménale de l'œuvre littéraire ; c'est le tissu des mots engagés dans l'œuvre et agencés de façon à imposer un sens stable et autant que possible unique. »
Roland Barthes, Théorie du texte, 1974

 

 

Avant de dire ce qu'est un texte, je focaliserai sur la valeur du concept de sémantisme employé dans le titre de l’article. Le sémantisme, substantif masculin, signifie "Contenu sémantique"; c'est-à-dire l’ensemble des valeurs sémantiques dont un mot ou une expression sont investis. Le mot texte ne doit pas prêter à équivoque. Il s’agit de productions orales, écrites, iconiques ou audiovisuelles porteuses de sens et inscrites dans une forme, au riche sémantisme. Le texte, lu pour être compris, servira de ce fait de point de départ à une étude herméneutique, i. e. à l’interprétation des phénomènes du discours incrusté dans une situation énonciative. Ce document-support constitue eu égard, et selon un ensemble de règles discursives et pragmatiques, un échange entre un locuteur-scripteur et un destinataire-lecteur.  La théorie de la communication repose justement sur l’étude technique de ces règles, et qui pourraient eu égard se ramener à deux principaux fondements. 

 

      D’abord, les intentions dans l’acte de communication constituent le vouloir-dire ou encore le vouloir-faire du scripteur. Tout acte langagier implique en effet  une intention, une visée, une volonté. La rhétorique traditionnelle saisit, de manière schématique, ces intentions selon les trois fameux appels.

- Primo, le fait de transmettre un savoir, c’est-à-dire informer. L’intention, issu du latin intentio, -onis, qui signifie « action de diriger contre ou vers » ; c’est donc un effort, une intensité, une affirmation dans le processus la transmission du savoir. Cette intention est, de ce fait, braquée sur le logos, substantif masculin, qui signifie en grec « parole, discours», et désigne partant le discours textuel ou parlé que l’on adresse à un destinataire. Si l’on définit le logos comme étant  la « Parole transmettant de façon adéquate la raison interne de celui qui parle aussi bien que la raison externe inscrite dans « l'ordre des choses», Paul Ricœur soutient, quant à lui, que « Ce n'est plus une parole, un logos, c'est un acte tissé dans le plein du réel. » [1]   Ainsi, le producteur du discours transmet, sans autre intentions, des informations que l’allocutaire ne comprend pas ou ignore. Il exerce donc sur lui, une sorte d’influence consciente, somme toute subjective : il y a en effet celui qui détient le « savoir», l’information et celui qui est un simple récepteur, mais appelé, par l’intérêt qu’il devrait accorder au discours, à comprendre. C’est en quelque sorte une relation d’autorité qui s’instaure entre les protagonistes de la communication. On peut citer, à titre d’exemples, le cours dispensé par un enseignant, l’information relatant un événement, les indications données sur un produit, etc.

- Secundo, l’intention de susciter des émotions enveloppe, dans certaines situation, la production de la parole. C’est faire appel au pathos (mot grec qui signifie « souffrance, passion»). Le pathos (s’opposant à ithos) est une « partie de la rhétorique des moyens propres à émouvoir l’auditeur ». Il est également le « pathétique déplacé dans un discours, un écrit, dans le ton et les gestes ». L’énonciateur vise surtout à éveiller les sentiments du destinataire pour que l’énonciataire admette ses postulats. C’est donc une méthode de persuasion qui repose essentiellement sur le fait d’émouvoir le destinataire. Le destinateur remue aisément  les ressorts qui servent à l’exciter ou à la calmer.

- Tertio, le niveau parler pour se faire aimer tend à privilégier l’ithos, qui est un mot grec désignant « mœurs, caractère, la morale »). L’ithos est également une partie de la rhétorique qui «traite de l’impression morale que doit produire l’orateur sur l’auditeur». Une telle figure du discours repose également sur les procédés de persuasion et fait valoir l’intégrité du locuteur. 

 

  Cette classification repose aussi bien sur la nature de l’échange que sur  les visées, les intentions communicationnelles des sujets parlants que sur l’acte d’agir. L’intention n’est pas nécessairement une volonté consciente de persuasion ; elle est un moyen de gagner la sympathie de l’allocutaire, de créer une entente réciproque, et sont notamment des buts communicatifs beaucoup plus souvent visés que les buts proprement persuasifs. Retenons tout de même que c’est plutôt la persuasion, et non la confirmation, qui constitue l’objet principal de la plupart des études sur l’intention rhétorique. 

 

  Ensuite, les intentions dans l’acte de communication supposent des préparatifs psychologiques. L’échange linguistique, quelle que soit sa nature, implique, en premier chef, la connaissance psychologique des sujets de la communication, cette connaissance est tout de même intuitive. On doit savoir, d’une part, à quel groupe social appartient le destinataire du message, quel est, par ailleurs, son état d’âme, sa situation affective lors de l’opération de l’échange, sa motivation. Aristote insistait justement dans sa Rhétorique sur l’importance d’adapter le discours aux différences d’âge, de sexe et de condition, de l’adapter également à l’état d’âme du destinataire : est-il joyeux ou triste, content ou fâché ? Le philosophe arabe Al-Farabi, le commentateur d’Aristote, énumère, dans son K. Al-Khataba كتاب الخطابة, « Le livre de la rhétorique », les conditions requises pour défendre ou réfuter un point de vue. Il suppose aussi la connaissance de la psychologie inhérente à l’acte persuasif. Les rhéteurs grecs avaient dans cette perspective un intérêt exclusif pour l’exercice à la parole, au discours politique oral. Démosthène, pour ne prendre que lui, considérait l’entraînement langagier comme étant une condition sine qua non pour la réussite de tout acte verbal. La toile de Jean-Jules-Antoine Lecomte de Nouy  (1842-1923) célèbre cet orateur attique et le présente dans ses rigoureux exercices verbaux.

 

  

Démosthène s'exerce à la parole

 

   Il existe, faut-il le rappeler, non seulement la psychologie du pathos et de l’ithos  - ce qui est l’évidence même -, mais aussi une psychologie du logos.  Agir par persuasion est au centre de tout échange verbal. La communication intentionnelle recourt constamment aux procédés persuasifs. Elle met en exergue soit la persuasion ou la résistance à la persuasion, qu’il s’agisse du discours publicitaire, propagandiste, idéologique, culturel, préventif, dans les médias ou en politique [2]. 

 

   C’est justement cette dernière qui constitue le point de départ de la théorie moderne de l’argumentation et des recherches sur la manipulation de la masse par les medias. On s’appuie évidemment sur une connaissance suffisante du public ciblé par la propagande : groupe social, situation affective, motivations, attentes, élans, préférences, etc. Pour qu’un but communicationnel soit atteint, on se réfère partant à la  psychologie de la persuasivité. La manipulation d’une population donnée suppose la structuration fonctionnelle de l’énoncé si bien que le locuteur (ou le scripteur) amène le destinataire à admettre son «raisonnement» bien que souvent orienté vers des objectifs qui ne sont pas ceux du public auquel on s’adresse, un discours non fondé et manipulateur. L’orateur cherche à ce que ses auditeurs-lecteurs adhèrent acceptent son raisonnement et en faire partant leur propre point de vue.
On ne cherche pas seulement à convaincre son auditoire (ou son lecteur) de la justesse de son hypothèse ou de son axiome, dans le domaine de la propagande, de l’efficacité du produit vanté ou de l’idéologie officielle ou officialisée, mais on le contraint, grâce au pouvoir du verbe et à la connaissance de la psychologie de la forme, à s’engager dans les sollicitations constantes de la consommation ou dans un prosélytisme suranné. Le discours tenu reste, malgré tout, émaillé de pseudo-preuves. Pour se faire valoir, le discours publicitaire se caractérise en effet par des spécificités, telles que les données sociales et psychologiques de la population visées, susceptibles de permettre une consommation massive du produit vanté. Le discours utilisé, alliant l’utile et l’agréable, le réel au non-réel, l’exagération à la modération, repose essentiellement sur une stratégie de nature persuasive.   

 

   Notons en outre que ces préparatifs psychologiques retenues lors de la communication sociale et sociétale, la publicité, la propagande, ne sont jamais sincères et innocents : un chef de parti politique qui intervient lors d’un rassemblement, d’un débat télévisé, d’une interview, etc., laisse « des traces» évidentes dans son discours, des traces explicites ou implicites, apparentes ou suggestives. Il suffit de lire attentivement ou encore d’écouter ce discours dans sa dimension oblique pour qu’on s’en rende compte que les « idées » avancées sont délibérément mises au service des « principes » fondateurs de son parti, ou tout simplement de ses intérêts personnels et du groupe éusuel il appartient. Les «défenseurs » du mariage homo usent, à la barbe de la stabilité éthique de la société, à se convaincre et à convaincre la société à laquelle dans laquelle ou contre laquelle ils agissent par des arguments dérisoires et excentriques. Le «mariage pour tous », la « liberté individuelle », ou tout autre argument fallacieux, ne tiennent pas de bout. Le but poursuivi par ces manifestations abusives est seulement de permettre à la dégénération de l’être humain. Le problème se pose de la même façon dans la conception impérialiste. La France, ou tout autre pays incrusté pathologiquement dans le capitalisme inhumain, tisse des arguments, logiquement sans fondements, pour diriger sa machine de guerre contre les anciennes colonies et piratent aussi bien leur avenir que leur culture. Le Mali, la Somalie, l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, et bien d’autres encore, illustrent ces scènes violentes et injustes où les fauteurs de trouble refusent qu’on se révolte contre leur volonté de posséder démesurément tout ce qui a une valeur sur notre planète.

 Ceci dit, la presse qui, faite sur mesure de cet impérialisme dégoûtant, se livre, sans scrupules, à créer de toutes pièces, et à la barbe de toute morale et principe, des justifications à cette usurpation attentatoire. Le mensonge, le fake news, est pour eux, une preuve d’intelligence, comme le retient leur psychanalyste juif Boris Cyrulnik, l’auteur de La Naissance du sens, Hachette, 1991. On est donc au cœur de la désinformation. On est ainsi au seuil de la démagogie perpétrée par Paul Joseph Goebbels, ministre du Reich, dont le principe fondateur de sa philosophie propagandiste est le mensonge, rien que le mensonge. N’a-t-il pas écrit que « l’idéal, c’est que la presse soit organisée avec une telle finesse qu’elle soit en quelque sorte un piano sur lequel puisse jouer le gouvernement.» Pour se faire une idée claire, vous n’avez qu’à parcourir la presse, à quelques exceptions près, pour se rendre vite compte des principes qui régissent ces organes sur lesquelles siègent les Etats, les gouvernements, la fortune inégalement partagée, les multinationales, les marchands des armes, du pétrole, de la drogue.

 

             

 

    Un texte, au sens communicatif du terme, est d’abord une préparation psychologique des lecteurs potentiels, de consommateurs abusés, de population dupée. C’est en fonction de cette « préparation » que le locuteur choisit méticuleusement ce qu’il devrait mettre en lumière ou à supprimer, les personnes à défendre et ceux qu’ils condamnent. Cette préparation rhétorique est particulièrement implicite mais qui s’explicite à travers des indices intra-discursifs et situationnels. La production écrite ou oralisée « visualise », en quelque sorte, cette préparation. On doit donc avoir les compétences requises  pour les identifier et les décoder. Il est aussi l’expression de ce que le locuteur a l’intention de communiquer. C’est donc la double perspective d’un texte : la préparation psychologique et l’intention communicationnelle. Un «texte» publicitaire sous forme d’énoncé écrit ou d’image, par exemple, est évidemment conçu selon ce double versant. D’une part, le producteur du message, généralement complexe, s’adressant à un public donné de consommateurs, tient compte de la situation sociale et psychologique, des préférences de la population  visée, de leur degré d’ingurgiter ce message mensonger en l’occurrence, etc. Son principal objectif est de vanter les atouts du produit de consommation et d’amener les destinataires à se l’approprier pour qu’ils jouissenr de ses «avantages». La persuasivité repose en fait sur la pertinence de cette préparation. D'autre part, l’émetteur exprime par le bais de ce « texte », dont les éléments constitutifs sont minutieusement choisis, ce qu’il a l’intention de « vendre ». L’analyse de ce type de texte nous donne un grand éventail d’éléments codés.  

 

    Le sémantisme d’un texte devrait donc être saisi non pas seulement par le repérage du dire discursif hors-situation et hors-contexte, mais aussi et surtout à travers une opération de dépistage qui s’appuie à la fois sur les données intra-textuelles que sur les véritables intentions du producteur de ce même discours.   


[1] Paul Ricœur et Jean Greisch, Philosophie de la volonté, Tome I : La volonté et l’involontaire, Points, 2009, p.191

[2] Claude Chabrol et Miruna  Radu, 2008, Psychologie de la communication et la persuasion. Une perspective cognitive,. Théories et applications, de Boeck.



09/07/2013
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