LEXICARABIA

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Les constituants événementiels d'un récit

 

Abdelghafour Bakkali 

 

Partie de l’exploitation un peu hâtive de la «morphologie» de Propp, la réflexion sur la narrativité a donné lieu tantôt à ees projets de discipline autonome, la « narratologie » par exemple, tantôt à des constructions rapides de «grammaire» ou de «logiques» narratives.
A.-J. Greimas, Les Acquis et les projets,
Jean Courtès, Introduction à la sémiotique narrative et discursiveParis, Hachette, p. 5    
 

 

         Si l'on tient compte du classement typologique du texte narratif, le récit relève d'un type fondamental dit information (l'autre type fondamental appartient bien entendu à la catégorie communication). Or, le récit a pour fonction d'« informer » par le moyen d'un texte oral ou écrit à contours fortement marqués et qui plus est appartient à la structure hypotactique[1] où les liens logiques entre les différents composants narratifs sont saillants. On relève souvent dans ce type de textes l'articulation à trois strates: ouverture, progression de l'action et clôture.

 

Sous cet angle de vue, on distingue deux types de discours narratifs : d'abord, le discours narratif proprement dit qui se subdivise en discours narratif fictionnel (il relève de l'imaginaire), tels que le conte, la nouvelle, le roman ; et le discours narratif non fictionnel à savoir l'historiographie, les faits sociaux, politiques voire économiques. Ensuite, le discours non narratif, à savoir les textes scientifiques, argumentatifs, didactiques, philosophiques, etc.

 

Si l'on se réfère à Robert, on relève l'acception «Relation orale ou écrite (de faits vrais ou imaginaires ». C'est donc le fait de relater, de rapporter, de développer des événements dont la véracité ou le mensonge n'entrent pas souvent en ligne de compte lors d'une approche narrative. C’est donc la présentation, orale ou écrite, d’événements réels ou imaginaires. Et de cette présentation se dégage une œuvre littéraire. Et récit est du même champs que réciter issu du lain citare «citer», i.e. appeler, dire à haute voix, 

 

Pour aller plus vite, nous allons tout d'abord, adopter la définition de Gérard Genette in Figure III : 49) ; pour ce critique littéraire, un récit est une «représentation d'un événement ou d'une suite d'événements, réels ou fictifs, par le moyen du langage, et plus particulièrement du langage écrit. » 

Qu'entend-on par «événement ou suite d'événements » ?  

On comprend d'abord :

  • des actions enchaînées,
  • des protagonistes (agents et patients),
  • un cadre (lieux, objets, etc.)
  • une chronologie.

Et ensuite la «représentation par le moyen du langage» suppose la connaissance d'

  • un énonciateur (narrateur) avoué ou dissimulé,
  • une énonciation du récit (narration),
  • un ou des point(s) de vue qui orientent le récit,
  • un destinataire (narrataire du récit : auditeur, lecteur, spectateur).
       Ce qui permet, pour mieux comprendre le réconté, de visualiser le schéma narratif et de déterminer les différents niveaux de l'acte de narrer.
 

           


     Gérard Genette regroupe, dans Figure III, sous le mot récit trois acceptions : c'est d'abord l'histoire ou encore l'énoncé narratif (discours oral ou écrit qui assume la relation d'un événement ou d'une suite d'événements). C'est le signifié saussurien ou si l'on veut le contenu narratif. Il est ensuite le récit proprement dit, le signifiant, (énoncé, discours ou texte narratif, qui est défini comme étant une «succession d'événements, réels ou fictifs, qui font l'objet de ce discours, et leurs diverses relations d'enchaînement, d'opposition, de répétition, etc. » L'analyse du récit consiste, dans ce cas, dans le repérage d'un certain nombre d'actions ; le médium linguistique est écarté de ce type d'étude. Il est enfin la narration : c'est l'acte narratif producteur ; le récit signifie donc l'acte de narrer un événement. (Genette 1972 : 71 sq.) Or, on retient trois concepts, à savoir histoire, récit et narration. L'histoire est de ce fait un énoncé ; autrement dit, le produit d'un acte de parole, d'écriture dans un contexte déterminé. Quant au récit, on insiste plus particulièrement sur la relation des événements qui font l'objet de cet énoncé. Il renvoie également au terme de narration dont la fonction essentielle est de représenter des actions, des événements.

 

On pourrait rappeler à ce propos que la théorie du récit ou narratologie s'est peu soucié du problème de l'énonciation narrative. Elle a principalement concentré tout son intérêt sur l'énoncé et son contenu.  Pour le théoricien  de la sémiologie du cinéma Christian Metz in dans Essais sur la signification au cinéma, 1971 : t.1), particulièrement le chapitre consacré aux «Remarques pour une phénoménologie du Narratif », le récit est un «discours clos venant irréaliser une séquence temporelle d'événements. »  La définition de Metz est assez générale et ne fait pas intervenir l'écrit comme d'ailleurs celle de Genette. L'auteur des Essais insiste spécialement sur la valeur discursive du récit, sur l'idée de clôture (dénouement en boucle, en abyme[2], etc.) Pour lui, la notion de «séquence temporelle d'événements » renvoie tout de même  à actions enchaînées, agents, cadre, chronologie. On pourrait aisément lire page 27 : « Un début, une fin : c'est dire que le récit est une séquence temporelle. Séquence deux fois temporelle, faut-il aussitôt préciser : il y a le temps de la chose-racontée et le temps du récit (temps du signifié et temps du signifiant).

 

  Dans l'optique structurale, le récit (production universelle) est défini comme étant une grande phrase constative (vs. performative) ; et comme telle, elle comporte un thème et un prédicat. Hjelmslev, continuateur de Saussure, parle, lui, d'un niveau d'expression et d'un niveau de contenu. L'expression suppose donc la face signifiante du discours narratif, laquelle se prête à une double analyse : syntaxique et sémantique, c'est-à-dire, une analyse qui dévoile, selon le procédé de dénotation, un sens «littéral » ou encore un «sens premier », dite  «analyse énoncive ». Le contenu traduit par ailleurs, en termes de connotation, un sens (ou des sens) inscrit(s) dans une situation de communication (valeur énonciative du récit), un «sens second ». 

 

   

Les différents niveaux sémantiques d'un récit


    Dans Discours, récit, image (1991), Kibédi Varga estime que le récit est une «forme sophistiquée et artificielle de la communication » (p. 65) et il fonctionne comme un moyen de communication ayant pour fonction de persuader ou de transmettre un savoir, mais il ne peut admettre les trois genera causurum (délibératif, judiciaire et épidectique) que d'une façon quasi arbitraire : le récit a toujours ignoré son destinataire. Bien qu'il ait été toujours considéré comme quelque chose de «simple », un passe-temps artificiel n'occupant qu'un rang inférieur par rapport à la poésie et le théâtre, le récit a connu une revalorisation depuis les années 1960. A partir de cette date, les études du récit prennent alors deux principales directions. On pratique, d'une part, une analyse catégorielle qui, dans le domaine littéraire repose essentiellement sur des catégories de récits saisies dans des textes particuliers (dans A la recherche du temps perdu de Proust, par exemple) l'étude textuelle  focalise sur le médium, le langage. D'autre part, l'analyse sémiotique élargit l'approche narrative et s'intéresse au signe, entendu comme unité doublement articulée et qui constitue eu égard l'élément fondamental dans un récit. Depuis Ferdinand de Saussure la sémiologie, ou encore la sémiotique narrative dite narratologie, s'applique à toutes les histoires racontées avec d'autres médias que le langage. Dans cette seconde direction, l'analyse n'est plus inductive, mais déductive. Pour la description du système narratif, on part soit des systèmes narratifs déjà décrits (contes populaires de tradition orale, mythes, situations dramatiques), soit que l'on se réfère à des modèles logico-mathématiques reposant, dans son acuité, sur la difficulté de définir le récit, produit d'une variété et d'une universalité étonnante. La difficulté réside en fait dans l'articulation des schémas narratifs (récit littéraire, reportage, films, roman-photo, BD, etc.)  «Pour décrire [donc] une structure narrative, il faut d'abord définir une unité constante de mesure, de comparaison et de classement des différents récits. » (Jean Verrier 1995, «Récit », in Encyclopaedia Universalis, 19, 627c).

 

Ceci étant, le récit, auquel nous allons consacrer d'autres articles,  englobe l'énoncé narratif, plutôt un discours dont la fonction est de rapporter, soit par écrit ou oralement, une série d'événements fictifs ou réels. Il est par ailleurs la succession même de ces événements, réels ou fictifs, et le rapport qu'ils entretiennent entre eux. Il implique aussi l'acte producteur de ces événements. Ce qui se résume, comme nous l'avons déjà suggéré, en histoire, récit et narration.

 


[1] Cet adjectif dérive du substantif féminin hypotaxe qui est une figure de construction marquée par l'abondance des liens de subordination dans une même phrase ou dans plusieurs phrases consécutives. Le mot a pour antonyme parataxe où les liens de subordination sont supprimés. Dans ce type de construction, la juxtaposition est de règle.

[2] Structure en abyme est la structure d'une œuvre qui en contient une autre en abyme (récit dans le récit, fil dans le film, etc.)



03/10/2011
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