LEXICARABIA

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Quelques particularités du dessin de presse et d'humour.



 

Abdelghafour Bakkali

 

 

[…]  il y a plusieurs dessins, comme plusieurs couleurs : — exacts ou bêtes, physionomiques et imaginés. Le premier est négatif, incorrect à force de réalité, naturel, mais saugrenu; le second est un dessin naturaliste, mais idéalisé, dessin d'un génie qui sait choisir, arranger, corriger, deviner, gourmander la nature; enfin le troisième, qui est le plus noble et le plus étrange, peut négliger la nature […] Le dessin  physionomique appartient généralement aux passionnés, comme M. Ingres; le dessin de création est le privilège du génie. La grande qualité du dessin des artistes suprêmes est la vérité du mouvement, et Delacroix ne viole jamais cette loi naturelle.

Charles Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, Eugène Delacroix.

 

 

 

    La publicité, dont regorge la presse écrite et électronique et dont la variété étonne, est définie par Robert comme étant « Le fait d'exercer une action sur le public à des fins commerciales ; le fait [aussi] de faire connaitre (un produit, un type de produit) et d'inciter à l'acquérir ; [elle est par ailleurs un] ensemble des moyens qui concourent à cette action ». Elle est de ce fait un dire et un faire ; autrement dit, un moyen d'information et de communication. Le publicitaire s'ingénie à donner des indications objectives sur le produit ; mais essaie de persuader, par des procédés propres à ce genre allant du pictural à la rhétorique, le public cible à se l'approprier ; une tâche ardue mais basée sur une dialectique spécieuse. Conçue selon des règles propres au genre, la publicité a notamment un contenu explicite et explicité. La stratégie communicationnelle, pour ce genre de message, les dessins de presse en l'occurrence, tend à transformer un non-consommateur en consommateur, un spectateur indifférent à un spectateur avenant. Elle informe et convainc en même temps. Pour cela, le publicitaire prévoit, lors de l'élaboration du message, trois étapes hiérarchisées dans le temps. Il donne d'abord des informations crayonnées sur le produit présenté; c'est ce qu'on appelle l'étape cognitive. Le consommateur, « pris au piège » à toute prendre, lors de la deuxième phase dite « étape affective », prend goût au produit vanté. Enfin, l'étape comportementale le conduit à l'achat et à la consommation. Reste l'étape de la fidélisation au produit. Le publicitaire varie sa stratégie aussi bien dans le choix de la forme que dans les « avantages » alléchants du produit qu'il prend en charge de vanter. Le shampoing 1, puis 2, 3, etc. et les différents usages entrent justement dans cette perspective. Entrent aussi la variation et le choix des motifs dans le dessin de presse, allant du réalisme tapageur au stylisme laconique. Tous les moyens sont bons pourvu que la cible soit leurrée.

               

Ceci étant, la publicité, ou encore et surtout le dessin de presse, sont de ce fait un jeu d'échanges - plutôt un jeu de rôles ou un drôle de jeu - à trois acteurs : l'annonceur-émetteur, celui qui parle, écrit ou dessine incarnant soit le fabricant, le producteur ou l'agence de publicité ou encore la ligne directrice de l'organe ou du journal, l'objet-référent qui renvoie à la chose dont on parle (le produit, l'objet, le service, la marque, etc.) et  le public-récepteur  qui sont les clients, les usagers, les consommateurs, les acheteurs, etc. Ces trois principaux pôles sont autant d'éléments qui président au choix des différents ingrédients d'un message publicitaire ou d'un dessin de presse ou d'humour. Pour qu'on puisse comprendre le fonctionnement de cette communication visuelle, il suffit de pratiquer une analyse méthodique qui tient compte de cette classification afin que soit éclaircie la signification inhérente à ce type de support. Ce mode de communication visuelle cherche avant tout à nous obnubiler par la variation de ses techniques draconiennes et à nous conditionner en consommateur inepte, en spectateur ou lecteur pusillanime parce qu'un incapable de dépasser le message qu'on lui destine. Le dessin de presse, quoique facile d'accès parce qu'il dénote une réalité collée directement au vécu, supporte une charge élevée de subjectivisme. Le dessinateur nous relate des événements selon son optique ou celle du journal qui l'engage. La lecture attentive de ces supports nous évite eu égard un emportement impétueux.

 

         Notons par ailleurs que le dessin de presse qui est stricto sensu la fameuse satire, « critique moqueuse » de situations politique et sociale. Si l'on se réfère au Petit Robert, on retient que le mot satire est issu du latin satira proprement « macédoine, mélange ». C'était tout d'abord un « ouvrage libre de littérature latine où les genres, les formes, les mètres étaient mêlés, et qui censurait les mœurs publiques. C'est donc un poème (en vers) où l'auteur attaque les vices, les ridicules de ses contemporains ». Le terme acquiert actuellement  le sens d'«écrit, discours qui s'attaque à quelque chose, à quelqu'un, en s'en moquant ». C'est cette dernière acception qui intéresse notre texte. Mais, au lieu de discours écrit, la notion de satire sera interceptée par le dessin de presse. Dans la revue TDC (Textes et documents pour la classe), n°792 du 15 mars 2000, p.6, cet événement dessiné est défini comme étant un  « dessin grâce auquel les dessinateurs commentent l'actualité de manière à faire réagir les lecteurs. » ; il est aussi une « illustration humoristique de l'actualité ». Cette acception est proposée par Pascal Famery et Philippe Leroy dans leur ouvrage Réaliser un journal d'information, 1996, Les Essentiels, Milan. Ces auteurs proposent par ailleurs la différence devant exister entre le dessin de presse et la caricature. «On différencie [notent-ils] la caricature : portraits subjectifs d'individus [et] le dessin de presse : au trait, à l'exécution stylisée, souvent en noir et blanc, commentant l'actualité avec humour ». Le ton pince-sans-rire qui caractérise les dessins humoristiques semble exclure ce type de message ironique. Le ton grinçant parfois même cynique caractérise ces dessins. Notons que caricature vient du latin caricare qui signifie « charger ». C'est donc une attaque graphique qui vise au ridicule, joue de l'accentuation des traits et de l'addition d'attributs narquois. Dans certains dessins de presse, on fait un salmigondis de traits saillants de réalisme et de stylisme flou.

 

 

 

 

Polygamie

 

Mais ce type de dessin médiatique n'est pas considéré comme un dessin artistique, tels que les vignettes de B.D, les dessins humoristiques. Il est une illustration de l'actualité de la presse écrite voire électronique par le biais de dessins satiriques. Le Plantu du Monde, Jacques Faizant du Figaro, et bien d'autres encore, sont autant de dessinateurs connus dans le monde entier par la spécificité et l'originalité de leurs productions dessinées. Les codes de reconnaissance varient d'un dessinateur à l'autre bien qu'il y ait des ressemblances. Ce dessin est particulièrement stylisé, s'écartant sciemment du tape-à-l'œil et du verbeux, parce que le but est de faciliter l'accès à l'actualité représentée par le dessin et non d'impressionner le lecteur spectateur par des touches emphatiques. Mais parfois, les signes iconiques ne sont pas facilement identifiables et qu'il est impérative de se familiariser avec ce type de code. Des dessinateurs de presse célèbres, tels que Jean Plantureux, dit Plantu,  Antoine Chereau, ont leur propre style où le code se diversifie au point de devenir parfois inaccessible. Les actualités les plus tapageuses passent nécessairement par leur crayon et mettent en scène des événements d'actualité en mettant l’accent sur l’aspect satirique du fragment d’événement dessiné. Le dessinateur expose donc des situations somme toute insolites et paradoxales. Dans le quotidien Almassae du 08.03.2012, le dessin proposé persifle des femmes qui prétendent crier haut et fort les droits naturels de la femme alors que leur comportement vis-à-vis des femmes à tout faire dénote une hypocrisie exécrable.

 

 

 

Droits des femmes à tout faire.

 

      Ces dessins qui disent beaucoup plus qu'un texte écrit touchent un public plus large parce que le décodage du message est simplifié et est piqué au vif. Ils brocardent ainsi, et parfois sans frontières, les « vedettes » d'événements et les mettent à nu et dévoile leur for intérieur. Ils les caricaturent et les présentent tels qu'ils sont en réalité et non tels qu'ils se croient être. Le cynisme des puissances nucléaires, par exemple, est révélé par ces dessins qui exposent la brutalité de ces pays qui polluent la planète pour leur intérêt impudent et représente une menace potentielle pour toute la planète.

 

 

 

Hécatombes du nucléaire.

 

Le dessin, en tant que «texte », pourrait contenir des éléments capables de renseigner le lecteur, d'une façon conventionnelle, sur le temps. La date de publication du journal, l'horloge accrochée sur une partie du dessin, des indices vestimentaires sont autant de signes qui renseignent sur la temporalité du dessin. La simultanéité est exprimée par la co-présence à l'image de deux scènes, tels qu'un entretien téléphonique, la succession avant/ après (antériorité) / postériorité). Pour la succession événementielle, on dispose d'au moins deux images. Dans Initiation à la sémiologie du récit en images, Alain Bergala, 1977, 150 p. note à ce propos  qu' «on distingue nettement deux épisodes de la scène, l'un se passant ici au premier plan, l'autre ayant lieu là-bas, dans le fond ». La disposition des scènes sur la vignette est donc fort significative : on peut y repérer l'action, le temps, la succession des événements.

 

Quant au dessin humoristique, nous aimerions aussi rappeler la définition du mot humour. Il passe de l'anglais au français ; mais ce mot est emprunté au français humeur issu du latin humor «liquide »). Il a connu une grande extension depuis son utilisation dans la littérature anglaise des XVIIème et XVIIIème siècles. Rappelons que l'«humeur », assimilée, dans la physiologie médiévale, à des fluides tels que le sang, la lymphe ou la bile déterminant des types de tempérament, s'est traduite, dans la littérature anglaise, sous la forme d'excès dont il fallait corriger la part irrationnelle ou les méfaits immoraux. Or, ce genre privilégiait le pittoresque, le grotesque, l'inattendu. Robert définit l'humour comme étant une «forme d'esprit qui consiste à présenter la réalité de manière à en dégager les aspects plaisants et insolites. » François Cavanna, le directeur de Charlie Hebdo, définit l'humour comme « une loupe qui donne à voir des monstres » (cité par Baylon & Mignot, 2000, in La Communication, Armand Colin, p. 161) Il s'allie donc au mépris de l'univers qui cache, en quelque sorte, des tares qu'on devrait démasquer et fustiger par ces dessins satiriques, ces pamphlets, cet humour graphique ou, si l'on veut, ce graphisme contestataire qui met essentiellement l'accent sur la critique sociale. Mais, ces depuis quelques temps, ces dessins causent d’énormes différends entre les cultures. En vertu de la liberté d’expression, qui n’est au fond qu’un pis-aller, on pouurait parler aisémenr de choc de culture. Les dessinateurs, sous la houlette de l’organisme auquel il brosse ces caricatures, vont, semble-t-il, au-delà de l’art, et se mobilisent pour approfondir le fossé entre les cultures. 

 

Ce sont en définitive des dessins destinés à faire rire ou sourire mais aussi et surtout à condamner des faits sociaux et politiques. «De quoi rit-on ? Contre qui, contre quoi l'arme du rire est-elle braquée ? Une étude du comique dans les arts plastiques se présente soit comme le plan d'un gigantesque chantier de démolition, soit (pour employer une autre métaphore) comme un court traité des mires et des cibles. » (Voir à ce sujet Gilbert Lascault, « Dessin satirique » 1995, in Encyclopaedia Universalis, 20, 614a). L'humour utilise intentionnellement des figures de style, tels que l'hyperbole, le paradoxe, l'antithèse, la métaphore ou le calembour.

 

 

 

La retraite

 

Ces dessins de presse pourraient être intégrés dans les activités de classe. Ils pourraient servir comme déclencheur de l'expression spontanée, de l'expression écrite (récit drôle en images). La démarche de l'exploitation interactive de ces supports iconiques serait la suivante :

1. Présenter aux apprenants le dessin humoristique choisi en fonction de sa pertinence (voir Le français dans le monde, FDLM, n°187, juillet 1983)

 2.  Préciser, dans un travail collectif, les différents accents du sujet ou de l'«histoire », les circonstances de l'action et ses développements possibles.

3. Demander aux élèves d'imaginer le dialogue ou les réflexions tenues par les protagonistes du DH. Voir à ce sujet Violette Morin, «L'histoire drôle » et «le dessin humoristique »,  in Communication, (n°8 et n°15). D'après l'auteur de ces articles, une histoire drôle (verbal ou iconique) est particulièrement constituée d'une séquence unique, brève, articulée en 3 fonctions :

 4.   Une fonction de normalisation (FDN) qui rappelle une situation que tout le monde connaît ; c'est la normalité, le bon sens, l'habitude, le lieu commun ; et par conséquent, ce qui risque de faire défaut si l'on passe d'une culture à l'autre, ou quand le contexte disparaît avec le temps. 

 5.   Une fonction d'enclenchement (FDE) qui est la péripétie, la locution qui déclenche l'histoire : les histoires drôles se présentent souvent sous forme dialogique, conflictuelle entre deux actants.

 6. Une fonction interlocutrice de disjonction (FID), au sens où un relais électrique peut disjoncter. La FID, enfin, fait soudain basculer l'histoire dans le comique, coupe le courant normal, fait bifurquer l'histoire vers un sens inattendu. Bref, l'histoire drôle achevée se définit par l'opposition des manières possibles de raisonner à partir d'une même réalité. Elle est souvent jeu de mots et aussi et surtout jeu de signes. La disjonction est soit sémantique, soit référentielle.

 

          Le dessin de presse, plus expressif que les articles qui composent le contenu d'un journal, tourne en dérision certains événements qui aiguillonnent les lecteurs-spectateurs et les poussent à la critique spontanée mais railleuse des déficiences observées dans le fonctionnement de certains aspects sociaux, économiques ou politiques. Le dessinateur dirige en fait une critique moqueuse contre une situation saillante de l'actualité en vue de provoquer un changement au niveau de l'appréhension et de la compréhension du sujet mis en évidence. Alphonse de Lamartine, dans son Voyage en Orient, t.2, 1835, met notamment l'accent sur le regard sur les écrits de presse, et partant le dessin "[...] la parole écrite et multipliée par la presse, en portant la discussion, la critique et l'examen sur tout, en appelant la lumière de toutes les intelligences sur chaque point de fait ou de contestation dans le monde, amène invinciblement l'âge de raison pour l'humanité." Si la raison s’incline devant la rage des partis-pris, la chute humaine est fatale. Notons à ce propos que la critique utilisant le dessin et la caricature s'inscrit dans le mode de pensée de l'organe pour lequel on élabore ses satires, parfois très amères. Les sujets sont puisés à pleines mains dans le répertoire de l'actualité que le journal privilégie par rapport aux autres événements qui sont généralement relégués au second plan ou carrément rejetés.

 

 


 



10/05/2012
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