LEXICARABIA

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Consonantisme sémitique. L'altération du hamza. 2/2

Abdelghafour Bakkali

 

 

L'idée de transmettre une culture, une religion, une tradition est souvent comprise comme une opération de reproduction à l'identique de ce que l'on a soi-même reçu, de ses ascendants ou deses maîtres. Cette signification, centrée sur la fidélité au modèle et la conservation de l'héritage,ne retient qu'une partie des phénomènes observés dans les sociétés humaines.
Sciences humaines, 21/09/2009

 

  Dans le cadre d’une approche diachronique, nous pourrons aisément constater que les langues indo-européennes n'emploient pas l'occlusive glottale à l'intérieur du mot; les langues sémitiques, par contre, connaissent un grand nombre d’unités lexicales l'ayant à l'initiale, à la médiane ou à la finale, autrement dit, préfixée, affixée ou suffixée. Elle a à peu près la même fréquence que les autres consonnes. On relève en arabe le hamza interne dans des termes tels que bi'r بِئر «puits », ra's رأس « tête », ya'kulu يأكُلُ «il mange », etc.

   
     En akkadien et en araméen, ce phonème fluctuant s'est amuï et est composé par l'allongement de la voyelle qui le précède immédiatement : en akkadien, par exemple,  *e:kul, *re:šu seraient issus  de *e'kul et * re’šu ; en araméen, ne:khul, *ye:khul et *re:ša proviendraient respectivement de *ne’khul, *ye’khul et *re’ša.

   
       En éthiopien, *ma:kala < *ma’kala « entre (préposition) » ;  en hébreu, *ru:š < *ru’š  «tête »… Mais parfois, le hamza se maintient comme dans *ne'dar «fertile», etc. Par «lourdeur articulatoire », le parler mecquois - que certains grammairiens arabes considéraient comme l’«arabe standard » amuït le hamza: on disait khati:yatun au lieu de khatī:’atun , etc. (voir à ce propos le Coran selon les lectures Warch et Hafs)

 En arabe, le hamza est sujet à diverses altérations : «Beaucoup plus fréquent est l'affaiblissement du hamza ou sa disparition complète », note Jean Cantineau, 1960, Etudes de linguistique arabe, p.77. Ce phonème passe conditionnellement à /ā/long, /ī/long, /ū/long, ou encore aux glides [w], [y], phénomènes phonologiques appelés  ibda:l إبدال ou qalb   قلب (voir K. al-qalb wa l-‘ibda :l d’Ibn Al-Sikkitابن السكّيت ). Il passe également, selon l’écart dialectal dit cancana عنعنة, à la spirante  pharyngale sonore [C]/ع/.

    Le traitement du hamza, dans différentes positions, soulève, chez les grammairiens arabes anciens, des divergences, parfois rebutantes (Cantineau, 1960, ibid., p.78sq.). Deux autres phonèmes, les glides [w] et [y], sont également sujets à des accidents phonétiques dans les langues sémitiques. La spirante bilabiale [w] et la spirante prépalatale [y] «fonctionnent tantôt comme consonnes, tantôt comme seconds éléments de diphtongues, et dans certains cas pouvaient passer aux voyelles correspondantes [u] et [i]» (Cantineau, ibid., 85). Ces glides fonctionnent donc comme consonnes «fortes», au même titre que les autres unités consonantiques, comme en guèze  et en tigray, par exemple (voir Henri Fleisch, 1968, L’arabe classique : Esquisse d’une structure linguistique, p.239).

 


 

 

            En protosémitique, les glides n’auraient qu'accidentellement cohabité avec les voyelles correspondantes [u] et [i]. Les semi-consonnes [w] et [y] tombaient souvent de la structure superficielle du mot, mais elles se maintenaient dans sa structure profonde, parce que ces sonnantes refont généralement surface dans des mots dérivés qui constituent ainsi ce qu'on pourrait appeler les «mots de la même famille » ou encores unités lexicales dérivées. Or,  le verbe arabe qa:ma  قامَ «se mettre debout» est issu de  *qawama ; yajillu:na يجِلّون de *yajliyuna  «ils respectent», sa:ra  سار de *sayara «voyager », kha:fa  خاف de *khawifa «avoir peur», etc. Ces semi-voyelles peuvent également se combiner avec les voyelles correspondantes et constituer donc les voyelles longues /ū/et /ī/ : yu:qifu  «Il fera tenir debout », provient de  *yu:wqifu, di:k دِيك est issu de *di:yk « coq», etc. Les [w] et [y] passent au hamza au cas où ils se trouveraient entre un /ā/ long et un /î/ ou /û/ brefs : on a, par exemple, qa:’il qui provient de *qawil, ba:’ic qui se rattache dans sa structure profonde à *bayic, etc.

 

         Il en est de même pour le préfixe de l’inaccompli qui, assimilé à une syllabe dite de «cause » (sababiyya) سببية, entraîne la chute conditionnée  du ha:’ ou du hamza. Le  mot yuqtil trouve ses pendants dans les autres langues  sémitiques : on a yaqtel en hébreu et en araméen. Il serait venu soit de *yu’aqtil, soit de *yuhaqtil. Mais, après une consonne, le hamza s'est maintenu dans la quasi totalité des langues sémitiques, hormis en syriaque, on a donc : *nesul  «il demande» vient de nes’al (voir Brockelmann, 1977, Semitische sprachwissensshaft, p.42).

Notons, pour finir, que les glides [w] et [y] s'étaient amuïs à l'initiale des mots d’origine akkadienne.

 

  • Lire l’article précédent ici

 



04/02/2013
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