Les différents types d'orthographe
Abdelghafour Bakkali
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Dans cet article (et dans les articles qui suivent), je vais essayer de présenter succinctement quelques particularités orthographiques du français. Ces spécificités rappellent une évolution caractérisée par le changement affectant au cours de l'histoire de la langue les mots en question. Ce changement est en rapport immédiat avec sa prononciation. Or, il est impératif de savoir les différents types d'orthographe ou de graphie afin que se précise la valeur de chaque graphie étudiée. Notons que l'orthographe a deux fonctions essentielles : elle concerne, d'une part, la pure graphie du mot ; et, d'autre part, elle détermine sa situation et son rôle dans la phrase. C'est notamment ce qu'on appelle orthographe d'usage et orthographe d'accord.
Les types d'orthographe que nous exposons se ramènent grosso modo à huit classes. D'abord, l'orthographe traditionnelle ou archaïque conserve une prononciation obsolète, tels que les digrammes vocaliques (ai) dans vainement, (au) dans aucune, (eu) dans veux, et surtout (oi) qui se prononçait [wè] dans le présent doit et voit, mais elle se simplifie en [è] dans les désinences de l'imparfait et du conditionnel était, devrait, etc. De même, le (s) intérieur devant consonne aussi bien à la tonique est, qu'à l'atone esoit ñ était ; le (e) en hiatus après voyelle ou digramme vocalique que l'on comptait comme syllabe, tel que desnoument ñ dénouement.
Ensuite, l'orthographe savante et étymologique qui a pour caractéristique de surcharger la graphie et approche par conséquent le mot français de son étymon latin. On peu citer entre autres le (b) et le (c) dans le mot subject á subjecus latin qui signifie « mise sous » (rappelons que dans le mot savant subjectif, les deux lettres se prononcent [sybjectif]) ; (d) dans quand áquando, (g) dans gens[1], (h) dans horrible, (m) et (n) qui note l'ancien segment probablement amuï depuis peu dans tombent, remplit, ventre ; (p) dans sept, (x) dans six ; les consonnes doubles (ff), (ll), (mm), (rr) dans estouffe, mille, grammaire, horrible ; le digramme (ct) dans action ; (qu) dans laquelle, quand, que, qui ; (y) qui est une transcription latine de l'upsilon, dans Pythagore.
Puis, l'orthographe diacritique permet d'identifier (u) voyelle mis souvent, à certaines époques, pour transcrire (v), les consonnes doubles (ll) de continuellement, laquelle, (ss) de cesse, (tt) de cette qui indique la prononciation par [è] de l'(e) qui les précède ; on a [kTtinPDlmS], [sès],[sèt]. On relève également (y) qui permet soit de noter entre deux voyelles deux articulations ou plutôt la participation à deux diphtongues ([wè] avec l'(o) qui précède, [jé] avec l'(e) qui suit) dans voyez, soit de marquer la fin des mots comme dans (ay) à une époque où on ne laissait pas forcément d'espace entre les mots ou encore de distinguer (i) de (m),(n),(u), dont les jambages pouvaient se confondre dans les manuscrits en l'absence de point sur l'(i), comme dans luy, survivances qui ne se justifiaient plus depuis l'utilisation de l'imprimerie. Le (z) final permet d'attribuer à (e) qui le précède la valeur [é] à une époque où les accents n'étaient pas encore utilisés, aussi bien dans voyez transcrivant l'ancienne affriquée [ts] issue de la désinence latine (-atis), que dans chez ou l'ancien français chies issu de casa « maison ». L'accent aigu permet d'attribuer à l'(e) la valeur [é] à la finale absolue depuis 1530 comme dans divinité et dans les désinences féminines (-ée) depuis 1533 comme dans pensée. L'accent grave permet depuis 1533 de distinguer à préposition d'a troisième personne du singulier de l'indicatif présent d'avoir.
L'orthographe analogique explicite par ailleurs les graphies d'un certain nombre de mots. Dans estouffa ñ étouffa, route, le digramme (ou) qui note le son [u] (alors que la lettre originale (u) noté [y] est emprunté aux mots où il transcrivait autrefois la diphtongue [ou], plus tard monophtonguée en [u], issue de la vocalisation d'un (l) devant consonne placée devant [ɔ] ou [o]). On peut citer, entre autres, le mot gaulois *molt ñ mouton ; remarquez le (-ol-) de *molt qui s'est transformé en digramme (ou)).La consonne double (tt) de cette áceste issu de ist latin, est due à la pression de (s) intérieur (ceste) ; laquelle s'aligne sur l'orthographe du masculin cet ácest qu'exige Montaigne pour distinguer le démonstratif de c'est, forme verbale, à une époque où l'apostrophe n'était pas encore entrée dans l'usage.
L'orthographe morphosyntaxique qui en outre insiste plus particulièrement sur des flexions. On a, à titre d'exemple, le (s) de la première personne dans tiens (où il est analogique) comme dans puis (où il est héréditaire), de la deuxième dans écris, le (t) de la troisième dans voit, doit, remplit, rougit, etc. Il en est de même pour la deuxième personne du pluriel dans voyez, (-nt) de la troisième sont ou tombent. Le trait d'union utilisé lors de l'inversion du pronom personnel relève aussi de ce type d'orthographe comme dans ai-je, puis-je.
L'orthographe sémantique soude, en cinquième lieu, étroitement deux éléments primitivement distincts comme dans tousjous, puisque,gentil-homme.
Mais l'orthographe phonétique marque la coïncidence de la graphie avec sa prononciation, comme dans le digramme (an) dans avanture ñ aventure, sans, ancre ñ encre, langue où il note[B], et il représente ainsi les syllabes latines (en) ou (in) qui avaient rejoint (an) au 11ème siècle pour la prononciation. De même, le (o) dans tombent ou sont, qui par suite de la nasalisation, représente [I].
Et enfin, l'orthographe ornementale rappelle l'usage que faisaient des copistes de certaines lettres, notamment (y) ; e ce, dans un dessein illustratif. Grâce à ces lettres arabesques, ils cherchent sciemment à embellir leurs manuscrits comme dans (ay), (luy, etc.
L'orthographe française est l'aboutissement d'une longue tradition graphique. Depuis le 16ème siècle notamment les savants la soumettent à une rigueur somme toute satisfaisante bien que de maintes difficultés surgissent lors de son étude ou de son apprentissage. Plusieurs voix appellent à sa réforme. Mais la tradition est plus rigide parfois intolérante. Changer l'orthographe serait déformer, aux yeux des puristes gardiens du bon usage, non pas seulement la graphie mais surtout la langue qui constitue l'identité saillante des sujets parlants. Ce phénomène me rappelle aussi la situation de l'arabe au IIème/VIIIème siècle. Les grammairiens et philologues de cette époque avaient fermement refusé d'altérer la graphie arabe par une quelconque adjonction de points diacritiques ou autres. La langue est de ce fait immuable aussi bien dans son système que dans ses particularités que certains considèrent comme superflues et illogique. Son étude nécessite eu égard la reconnaissance du système de la langue sans considérations et préjugés extrinsèques. Reprenons l'expression d'Alain « L'orthographe est de respect ; c'est une sorte de politesse » qui insiste évidemment sur le mode d'aborder le système orthographique d'une langue.
[1] La désinence de gens (issu du latin gens, gentis « nation, race, peuple ») où (s) final avait remplacé (z) vers 1300 par suite de l'évolution de l'affriquée [ts] e [s] vers 1200.
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