Le rapport arabe ancien et néologie
Abdelghafour Bakkali
Cette exclusion, partielle il faut bien le noter, en matière de création conceptuelle se justifie grosso modo par les méthodes et les visées que les grammairiens et lexicographes se faisaient de la langue arabe. Pour eux, l’arabe authentique -ou plutôt authentifié par un travail linguistique de rigueur- est un idiome qui ne devait être altéré par aucun apport étranger voire néologique, ou conceptuel, un parler actualisé plus spécifiquement par des tribus qui détiennent la salīqa ou «compétence discursive»; et qu’utilisaient les poètes dans leurs chrestomathies. Cette neutralité, plutôt restriction, dans l'enregistrement des mots dans l’inventaire lexical global marque aussi une rupture avec la «diversité sémique» qu'entretiennent les grammairiens, les exégètes, philosophes, mystiques. Elle marque aussi une attitude précautionneuse à l’égard des mots d'emprunt quelle que soit la fonction qu'ils remplissent, ou encore les termes utilisés dans des commentaires spécifiques. Ceci n’empêche eu égard que les lexicographes charrient sporadiquement dans leur macrostructure un certain nombre de mots issus d’un fond étranger ou accordent à ces «intrus» une étude particulière en les regroupant sui generis à la fin de leur dictionnaire.
La «langue cible», celle que recueillent les grammairiens et les lexicographes, selon une rigueur particulière, directement ou par le biais d’informateurs «compétents» dans le domaine langagier, et dont la fluidité dans le domaine linguistique est irréfutable, du moins à leurs yeux. Ils attestent ainsi les mots de vive voix par les témoignages de bédouins ou d'informateurs dignes de confiance qui sont restés isolés dans le désert, et écartent sciemment les termes néologiques ou ceux importés, parce que ceux-ci relèvent d’un usage circonstanciel éphémère et ne reflète guère le système lexical de la langue arabe ; c’est-à-dire que ces créations lexicales ont été bel et bien forgées pour un emploi spécifique, étranger au sujet parlant l’arabe authentique ou plutôt authentifié. Le lexique, dans ce cas, se spécifie -plutôt se destine- à une pratique langagière somme toute archaïque, récalcitrante à toute nouveauté dans le domaine de la création lexicale. Ainsi se ferme-t-il intentionnellement à toute influence étrangère si bénéfique qu’elle soit, et se cantonne dans des pratiques linguistiques rudimentaires. Mais ceci ne veut pas dire que la langue arabe ancienne s’est enlisée dans des usages restrictifs. Loin de là, elle a adapté de façon exemplaire des lexiques spécifiques à des champs de connaissance très diversifiés. Les méthodes lexicographiques adoptées à cette époque cruciale de sa codification visent exclusivement la collecte d’items lexicaux qui constituent une nomenclature débarrassée de toute influence corrosive. On voulait un arabe exempt de mots ou d’emplois étrangers ou néologiques, surtout lorsque ces mots ne s'alignent pas sur les structures schémiques de l'arabe. Cette précaution évitera la détérioration de la langue du Coran, et partant sa dénaturation au niveau rhétorique et sémantique.
En dépit de cette retenue déclarée ou latente, la vague néologisante apporte à la langue ancienne une multitude de concepts que stimule, pour une large part, la nouvelle religion, celle qui impose au bédouin idolâtre attaché viscéralement à son totem, et somme toute platement prosaïque, une pensée centrée sur l’unicité cosmique, une pensée orientée vers l’abstraction et l’universalisme. Or, la langue suivra ce courant et se pliera de manière malléable à cette contrainte entretenue, en premier lieu, par le texte coranique, ensuite par le discours prophétique et aussi et surtout par une rigueur scientifique venant extrapoler ces deux discours fondamentaux.
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