La structure de la syllabe sémitique
Abdelghafour Bakkali
Rappelons que la dénomination sémitique fut employée pour la première fois dans le domaine des classements des langues par le philologue allemand August Ludwig von Schlözer en 1781, pour désigner l'ensemble des langues apparentées au Phénicien, à l'Hébreu ou à l'arabe. Cette dénomination est empruntée à la Bible, la Genèse, où notamment l’on fait référence au premier fils de Noé, Sem. Noé avait trois fils : Sem d'où est issu le concept "sémitique"; à Cham, les langues chamitiques (Egyptien, Copte), et à Japhet, les langues indo-européennes.
L'arabe, ayant connu une présence notoire au IVe siècle après J.-C., supplante la plupart des langues Cananéennes de la région palestinienne et s'impose de manière irréversible. Puis, l'Islam, dès le VIIe, permet à l'arabe, en tant que langue religieuse et partant de la civilisation, de se développer considérablement dans le monde musulman qui s'étend dans tout le Nord de l'Afrique et l'ensemble du Moyen-Orient. L'arabe, comme d'ailleurs la plupart des langues sémitiques, possède une écriture cursive, sénestroverse ; les signes sont alphabétiques.
Notons aussi que les langues sémitiques sont caractérisées, au point de vue phonologique, par la présence des laryngales (c ع / h ح), des gutturales (gh غ) et des emphatiques (DH ظ / T ط / S ص). Au point de vue morphologique, elles sont marquées par la prédominance de racines trilitères, toutes consonantiques.
La syllabe, unité abstraite de la langue, est issu de l'étymon latin syllaba, du grec συλλαβή, sullabé, qui signifie «ensemble, rassemblement». Elle est donc le rassemblement d'une consonne et d'une voyelle et n'est pas nécessairement porteuse de sens, du moins dans certains éléments linguistiques dont se compose l'unité lexicale décomposée en unités phonétiques fondamentales. On décrit la structure interne de la syllabe en termes de constituants infrasyllabiques. Groupe de consonnes et/ou de voyelles qui se prononcent d'une seule émission de voix, la syllabe est de ce fait constituée d'une attaque et d'une rime ; la rime comporte un noyau et une coda. L'impératif monosyllabique kul ! كُلْ« mange ! »est constitué de l'attaque /k/ et de la rime /ul/ qui est, à son tour, composé du noyau /u/ et du coda /l/.
Les langues sémitiques se caractérisent aussi par la nature et les fonctions des unités syllabiques dans la chaîne du discours. Une syllabe sémitique est composée essentiellement d'une consonne affectée de l'une des trois voyelles brèves /a/, /i/ et /u/ ou des voyelles longues correspondantes /ā/, /ī/ et /ū/. L’arabe ancien, ayant conservé in extenso le système linguistique du sémitique commun, connaît trois types de syllabes :
1. consonne + voyelle brève = syllabe brève : [c + v = s]
2. consonne + voyelle longue = syllabe longue : [c + V = S]
3. consonne + voyelle brève + consonne = syllabe longue : [c + v+ c = S] (Les lettres en majuscule représentent les voyelles longues)
- Or, on a [s = c + v] et [S = c + V ou [c + v + c].
(Pour plus de détail cf. Carl Brockelmann, Précis de linguistique sémitique, P. Geuthner, 1910, p.224
La langue arabe, comme d'ailleurs les autres langues sémitiques, enfreignent cependant cette règle conventionnelle. Il arrive en effet que la frontière syllabique ne soit pas suffisamment délimitée, du moins dans la structure de surface de l'unité lexicale ou du groupe sonore soumis à l'analyse : le groupe sonore <qālakhrug> (قال اخرج) «il a dit : 'sors !'», par exemple, se décomposant graphiquement en /qāla + [u]khrug/, contient le groupe /‘khr خر(ا)/ qui forme une seule syllabe; mais au fond, il se décompose en /-kh-/ quiescent et /-ru-/ ; la quiescence forme avec la consonne /-kh-/ une syllabe.
Autrement dit, dans cette syllabe, l'attaque est la consonne /kh/, la rime est composée de la quiescence suivie de /r/ ; cette rime a le quiescent pour noyau et le /r/ pour coda. L'hébreu *chtāyim «deux » et le syriaque *chtā «six» s'inscrivent, paraît-il, à la marge de la règle fondamentale de la syllabe sémitique : on a pour les deux mots le groupe chta - composé de /ch/ quiescent + /ta/.
Les diphtongues amuïes, suite à une évolution phonétique, n'entrent pas dans le compte syllabique : on a, par exemple, en hébreu qāmtā «je me suis levé» 2 syllabes longues : qām + tā. Or, on la suite suivante c + v+ c et c +V) ; qāmtā <*qawamtā ; et en arabe yaqūm <*yaqum < *yaqwum. Dans le premier exemple, le /ā/ long se réduit d'abord en /a/ bref, et le -wa- s'affaiblit en position intervocalique ; il y a donc chute, syncope, de la voyelle et chute à la fois de l'accent du mot /-u-/ et de /w/. Le même phénomène se produit aussi pour le mot khiftu < *khayiftu <*khawiftu où il s'agit notamment d'une chute conditionnée des diphtongues -yi- ou -wi-.
L'accent détermine ensuite la syllabe : «L'accent est la mise en valeur d'une syllabe et d'une seule dans ce qui représente, dans une langue déterminée, l'unité accentuelle» (voir Jean Cantineau, Etudes de linguistique arabe, Klinksieck, 1960, p..89). Dans la quasi-totalité des langues sémitiques, l'accent affecte essentiellement la syllabe finale de l'«unité accentuelle » ou monème, ou bien il marque la pause quand il s'agit d'un «énoncé complet», ou phrase. Rappelons à ce propos qu'il y a chute du tanwīn تنوين et changement de la finale féminine –āt ات en –āh اه. Mais la pause n'est pratiquée en sémitique qu'en hébreu et en arabe (Voir Henri Fleisch, L'arabe classique : Esquisse d'une structure linguistique, Dar al-Machriq, 1968 :28 (Révisé le 31 mars 2011).
Pour l'accent, se plaçant sur la syllabe finale d'un mot, nous pourrions citer, à titre d'exemple, l'hébreu qatal <*qatelū, et l'arabe dhahab < dhahabū. Analogiquement, nous avons sur qatal le dérivé qatalu : (l'accent porte sur la finale -ú). Mais, parfois l'accent traditionnel pourrait être maintenu comme dans l'araméen qatál : (l'accent sur la deuxième syllabe). En syriaque, la voyelle finale tombe cependant presque systématiquement : qtal <*qtalu:. Selon Brockelmann, l'accent réduit les VL des syllabes inaccentuées en sémitique. Mais cet accent est souvent instable, surtout en éthiopien où il est plus ou moins libre (voir C. rockelmann, Semitische sprachwissensshaft, 1977 :45).
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